Risques - Le recours à l'état d'urgence dans plusieurs zones du Nigeria pour combattre la secte islamiste Boko Haram fait craindre des violences de l'armée. Une unité militaire spéciale, formée pour combattre Boko Haram dans son fief de l'Etat de Borno, a été accusée à plusieurs reprises ces derniers mois de tuer des civils et de brûler des maisons après des attentats, affirmant que les habitants collaboraient avec les islamistes. Des soldats et des policiers ont également été accusés dans le passé d'avoir tiré sur des civils et procédé à des exécutions sommaires dans l'Etat central du Plateau qui est le théâtre depuis des années d'affrontements entre chrétiens et musulmans. Selon des analystes, ce genre de comportements n'a fait qu'aggraver la situation et pousser des habitants à soutenir les extrémistes plutôt que l'armée. L'état d'urgence, qui concerne des zones des Etats de Yobe, Borno, du Plateau et du Niger, dans le nord-est et centre-ouest du Nigeria, donne plus de droits aux services de sécurité pour rechercher et arrêter des suspects. «Il ont déjà commis des abus, a déclaré Jibrin Ibrahim, du Centre pour la démocratie et le développement, ONG basée dans la capitale fédérale Abuja. «Cela va juste les légaliser, d'une certaine façon.» Le Président Goodluck Jonathan a décrété, dimanche dernier, l'état d'urgence, en réponse à une vague d'attentats, commis le jour de Noël et revendiqués par Boko Haram, qui a fait une cinquantaine de morts dans le centre et le nord-est du Nigeria. L'attaque la plus meurtrière a été commise dans une église catholique de Madalla, faubourg d'Abuja, à la sortie de la messe de la nativité et a fait au moins 44 morts. Boko Haram, qui signifie «l'éducation occidentale est un péché» et qui prône la création d'un Etat islamique, a revendiqué de nombreuses attaques, dont l'attentat suicide perpétré en août 2011 contre le siège de l'ONU à Abuja qui avait fait 25 morts. Ces attentats ont conduit la communauté chrétienne nigériane à menacer de recourir à l'autodéfense si les violences se poursuivaient, faisant craindre une explosion dans un pays divisé entre un Nord pauvre à dominante musulmane et un Sud plus riche, surtout chrétien et animiste. De son côté, l'armée a cherché à rassurer après la déclaration de l'état d'urgence. «Nous avons revu et continuons à revoir notre manière d'agir dans notre lutte contre les terroristes», a dit le porte-parole de l'armée sans plus de précisions. Les Nigérians paraissent divisés sur la mesure entre crainte de brutalités militaires et volonté de mettre fin aux tueries des islamistes. Pour Shehu Sani, responsable d'une organisation de défense des droits de l'homme basée dans le Nord, le Civils Rights Congress, l'état d'urgence «constitue un chèque en blanc donné aux militaires pour perpétrer toutes sortes d'abus sous le couvert de mettre un terme aux violences». «Nous croyons qu'en tant que démocratie, le gouvernement du Nigeria doit combattre l'insurrection dans les limites de la loi et le respect des droits fondamentaux des citoyens», dit-il. Mais pour Tanko Yakasai, un homme politique respecté du nord du pays, l'état d'urgence est un «mal nécessaire». Il veut croire que le gouvernement fera tout «pour que l'armée puisse faire face à la situation, d'une manière plus professionnelle».