Sort - Dès qu'arrive le départ à la retraite qu'on qualifie hypocritement de bien méritée, l'ancien est vite livré à lui-même. Pas tout de suite, peu à peu il comprendra qu'il est devenu inutile, un poids supplémentaire. Ses anciens collègues le saluent à peine dans la rue sinon pour évoquer quelques bons souvenirs, ses chefs l'évitent parce qu'ils considèrent qu'ils n'ont plus rien à lui dire et ses anciens subordonnés s'il en a, font montre à son égard de moins de déférence et cachent difficilement un curieux sentiment mélangé de pitié et de répulsion comme si la retraite était une maladie honteuse. Mais il y a pire dans le reniement. On raconte volontiers l'histoire de ce retraité qui a voulu un jour faire un pèlerinage au dépôt dont il était responsable. Arrivé sur place c'est le vigile qu'il a lui-même recruté qui refusera de lui ouvrir la porte et qui l'empêchera de pénétrer. Au bout de quelques mois d'errance entre le marché, le café et la maison, surtout s'il n'a pas un job de substitution, l'ancien se rendra compte que la réalité lui crevait les yeux et qu'il refusait de la voir en face : il n'est rien, il n'a ni prestige, ni statut ni quoi que ce soit qui vaille la peine qu'on se batte ou qu'on se lève aux aurores pour lui. Il se sent d'autant plus humilié que sa pension stagne, que ses enfants gagnent plus que lui et qu'il leur arrive souvent de voler à son secours. Lui qui était le maître et qui décidait de tout, le voilà réduit à leur demander de l'aide et parfois même à dépendre de cette aide. Il ne fait plus attention à son amour-propre si sensible à la plus petite écorchure ou si peu et encaisse sans broncher les réflexions des proches qui ont cette fâcheuse tendance à considérer qu'un senior est un sénile en fin de parcours. Il n'a alors qu'une seule ressource pour ne pas sombrer dans la dépression. Se trouver une occupation parallèle pour se réhabiliter à ses yeux et aux yeux des siens. Tâche difficile par les temps qui courent et il devra se contenter de ce qu'on lui propose, en général un emploi de gardien de parc ou à défaut de gérant de café maure s'il n'a rien contre la fumée des cigarettes. Avec un corps usé par l'âge et la fatigue, une vue qui baisse, une mémoire qui lui fait souvent défaut et une ou deux maladies chroniques, l'ancien éprouve toutes les difficultés du monde à trouver un boulot pour mettre un peu de beurre dans les épinards et surtout pour s'occuper. Et quand toutes les portes sont fermées comme c'est souvent le cas, il fera pareil à cet ancien cadre de ministère. Il vendra des cigarettes en bas de son immeuble… La retraite, quelle misère…