Les SDF mènent une vie marginale malgré qu'ils soient partie intégrante du paysage urbain. Entre précarité, errance et souffrances, ils essayent toujours de défendre leur chez-soi. A force de les voir, on finit par retenir leur emplacement. Mais on ne s'inquiète pas sur leur condition. Peut-être parce qu'ils sont vêtus de guenilles ou qu'ils peuvent être agressifs, on évite de les approcher. Ils sont aussi devenus tellement nombreux que personne ne semble plus se soucier d'eux. Ce ne sont ni des vendeurs ambulants, ni des retardés mentaux, ni des mendiants mais des personnes qui ont élu domicile dans la rue. Ils choisissent un petit coin tranquille et s'y installent, créant ainsi leur petit chez-soi. Ils passent tout ou la plus grande partie de leur temps dans la rue sous les arcades de l'antique Sitifis, ils y vivent, mangent et dorment sans rien demander à personne et subsistent grâce à la générosité de quelques passants. Et cela peut durer des années. Ces SDF ont un quotidien qui n'a rien de commun avec le nôtre et leur vie dans la rue à des lois et des codes bien différents de ceux que nous connaissons. Près des arcades de la BNA de Sétif, toute une famille campe. Adossée au mur, la femme, toujours assise entourée de ses enfants, une couverture recouvrant ses jambes, est toujours au même endroit. Des années avec le ciel pour seul toit En hidjab de couleur claire, le visage crasseux, elle scrute les gens de ses grands yeux. Elle ne mendie pas, n'adresse la parole à personne et le seul geste qu'elle peut manifester de temps en temps c'est de lever les bras vers le ciel comme si elle voulait implorer Dieu. Son regard à la fois grave et morose donne l'impression que cette femme voudrait vider tout ce qu'elle a sur le cœur. Elle avait un mari avec lequel elle a eu trois enfants. Depuis quelque temps, son époux a quitté cet endroit et nul ne sait où il est allé. A Sétif, tout le monde la connaît. En effet, son mutisme ne dérange personne et avec les années, elle a fini par devenir un visage de la rue de Constantine. Assise à même le sol sur un carton, elle attend qu'une main généreuse lui tende de quoi manger et les quelques sous qu'on lui donne lui permettent de subsister. Elle et ses enfants, tous les quatre se sont habitués au froid glacial de l'hiver sétifien et à la chaleur de l'été. Cette femme n'a pas choisi de vivre dans la rue. C'est le seul lieu qui pouvait l'accueillir lorsqu'elle a été forcée de quitter sa maison. Son corps chétif a appris à résister au froid et à la chaleur. Et malgré la précarité du cadre dans lequel elle vit, son visage est serein, et le peu d'attention qu'on lui accorde semble la combler. Une attention qu'elle n'a pu trouver auprès de ses proches. «On ne peut pas mourir de faim à Sétif» C'est dans ce même décor que vivent d'autres sans-abri, même si leurs histoires diffèrent. Dans la rue, et contrairement à ce que l'on pourrait penser, ils se sentent plus à l'aise, plus en sécurité. Livrés à eux-mêmes, sans toit, ils parviennent tant bien que mal à créer un environnement qui leur est familier. Jeunes et vieux. Ils ont choisi l'ombre des arcades, tout près de la célèbre fontaine El Fouara, pour installer leurs effets. Un carton leur servant d'armoire pour ranger ce qu'ils possèdent, nourriture et bouteilles d'eau. Dans ce carton, ils entassent pain et autres choses. Un véritable butin qu'ils ont accumulé pendant la journée. Ils avouent ne pas craindre la faim. «On ne peut pas mourir de faim à Sétif, les gens au grand cœur sont très nombreux.» Le coin qu'ils ont squatté est tout ce qui leur appartient dans ce monde. Ils ne le quittent que pour aller faire leurs besoins à la mosquée d'en face ou dans le café à côté. La rue est alors devenue leur seul refuge. Et s'il leur arrive de supporter la misère, cela ne les empêche pas de se sentir humiliés. Les rides profondes qui creusent leur front et les cernes sombres sont les témoins de ces longues années d'errance et de souffrance. Chaque regard et paroles reflète à quel point ces gens, notamment les personnes âgées, regrettent d'avoir un jour quitté leur village. Plusieurs reçoivent régulièrement de quoi se couvrir et quoi manger des passants, des habitants du quartier ou bien des fidèles de la mosquée voisine El Atik. Mais cela ne semble pas régler leur problème. Cette jungle humaine les surprend jour et nuit par les agressions des autres vagabonds ou les descentes de police les forçant souvent à quitter les lieux. La rue pour toujours ? Ils ne sont pas les seuls à souffrir de ces tracas. Au cours de ces dernières années, la ville de Sétif, avec plus d'un million d'habitants, a accueilli un grand nombre de sans domicile fixe. Leur présence étant illégale, ils doivent lutter quotidiennement pour préserver les quelques mètres carrés dans lesquels ils «logent». Personne n'a effectué une recherche sur l'aspect humain de ces personnes, sur leurs véritables besoins et sur les alternatives qui pourraient leur être proposées. Même les centres d'accueil, dont le nombre est très limité, donnent la priorité aux enfants et oublient les adultes et les jeunes. Pour les autorités, ces gens défigurent l'image de la ville. Une réalité qui rend la vie dure à ces laissés-pour-compte. Le plus surprenant, c'est que la plupart d'entre eux refusent de réintégrer des conditions de vie normales et préfèrent rester dans la rue. Enfin, quand notre instinct et nos consciences se réveilleront ? Certes, ces gens nous font de la peine, mais à l'approche de l'automne, on va vite les oublier. Tout le monde sera occupé par la rentrée scolaire et les fêtes.