A l�heure o�, sous d�autres cieux, les retrait�s profitent de leur temps libre pour voyager, cultiver leur petit potager et jouer au bingo entre personnes du 3e �ge, nos retrait�s � nous broient du noir, filent du mauvais coton et attendent la mort de pied ferme. Des journ�es qui tra�nent en longueur, des poches vides � cause d�une pension fam�lique et le sentiment d�un immense g�chis : voil� ce qui revient le plus souvent, dans la bouche de tous les retrait�s que nous avons approch�s. A la trentaine, elle semble si lointaine. A la quarantaine, elle se rappelle parfois � notre bon souvenir. A la cinquantaine, �coucou, j�arrive !� Elle, c�est madame Retraite ! A la fois crainte, car synonyme de fin d�activit�, et sublim�e parce qu�elle est associ�e au repos du guerrier, elle apporte avec elle son lot de d�sillusions, d'ennui et de solitude, car, chez nous, rien n�a �t� pens� pour l��panouissement de cette frange de la population. Pour ne pas sombrer dans la folie Mohamed, 72 ans, a eu le temps de tutoyer la retraite. Cela fait d�j� une quinzaine d�ann�es que son r�veil ne le tire plus du lit aux aurores pour rejoindre son lieu de travail. Nous avons rencontr� ce retrait� de la Cnas � la rue Larbi-Ben-M�hidi o� il vend cacahu�tes et cigarettes sur un petit �tal de fortune, � proximit� du mus�e Mama. ��a se passe comment une vie de retrait� ?� avons-nous risqu�. Le septuag�naire ne se fait pas trop prier pour nous raconter un quotidien des plus moroses. �Apr�s �tre rest� 5 ans � me rouler les pouces entre 4 murs, j�ai r�alis� que l'oisivet� allait m�exp�dier au cimeti�re plut t�t que pr�vu. Je sentais la folie me guetter � force de tourner en rond comme un lion en cage. Alors, j�ai pris le taureau par les cornes et d�cid� de m�improviser vendeur de cigarettes � la sauvette. Une occupation pour me vider la t�te et mettre un peu de beurre dans mes �pinards, car les 20 000 DA de retraite per�us mensuellement suffisent � peine � couvrir mes besoins alimentaires. Pourtant, je suis veuf et mes 8 enfants sont tous mari�s.� Et d�ajouter : �Il y a des jours, o� ma �tabla� me rapporte � peine 300 DA de b�n�fice. Cependant, elle me permet un semblant de vie sociale, qui me fait sentir que je suis encore du monde des vivants en attendant que la grande Faucheuse m�envoie manger le pissenlit par les racines !� Routine, ennui, amertume, monotonie, solitude... m�me litanie sur les l�vres de tous ces retrait�s, encore en bonne sant� mais que le vide tue � petit feu. Dominos et journaux Au jardin de l�horloge florale (avenue Pasteur), un groupe de retrait�s trompe l�ennui en disputant des parties de dominos. Un peu � l��cart, Idir (72 ans) les regarde passivement. �Il m�arrive parfois de jouer avec eux�, nous dit cet ex-commer�ant d�une boutique de plomberie, � la retraite, �mais, ce que je pr�f�re, c�est faire de longues balades jusqu�� Belcourt. �a meuble un peu mon temps et me procure une fatigue bienfaitrice. Mes journ�es sont des plus monotones. Apr�s les courses, le matin, je me rends au magasin pour tenir compagnie � mon fils. C�est lui qui a pris la rel�ve. Apr�s le d�jeuner, je vadrouille jusqu�� 16h, et finis ma journ�e en prenant un bol d�air dans ce jardin, avant de rejoindre mon logis � la rue Trollard�. Son compagnon du jour, assis � ses c�t�s, a rejoint le clan des retrait�s il y a � peine une ann�e. A 52 ans, Rabah (c�est son nom) a d�j� les cheveux tout blancs et le visage rid� comme une grenade dess�ch�e. �J�ai travaill� pendant 32 ans comme coursier et magasinier dans une entreprise d��dition �, confie ce jeune retrait�. A la question de savoir s�il a des loisirs, Rabah sourit avant de r�pondre : �Que voulez-vous que je fasse avec une pension de 15 000 DA ? Je n�ai plus mis les pieds dans un avion depuis 1985. A l��poque le billet Alger- Paris m�avait co�t� � peine 2 100 DA. Rien pour meubler ma vie de retrait�. Le train-train quotidien et le n�ant �a vous ronge de l�int�rieur. Heureusement qu�il y a la t�l� et les journaux M�me comme cela, je sens que le vice va me faire p�ter un boulon. � La solitude, cette b�te immonde Qu�en est-il des femmes � la retraite ? Comment passent-elles leurs journ�es et sont-elles satisfaites de leur sort ? Fatiha (66 ans), retrait�e du secteur de l��ducation nationale, ne cache pas son d�sarroi. �La premi�re ann�e, c��tait agr�able. Je prenais le temps de faire des grasses matin�es, fl�ner, pr�parer des g�teaux � mes petits-enfants, mais � la longue, la vie sociale et le manque d��changes et de communication ont commenc� � me peser. J�ai essay� en vain de m�impliquer dans une association caritative pour consacrer un peu de mon temps aux autres, mais rien � mettre sous la dent de ce c�t�-ci. Lorsqu�on a �t� tr�s active durant une soixantaine d�ann�es, couper les ponts avec les autres est synonyme de grosse d�prime !� nous r�v�le cette sexag�naire. Que de fiel dans le c�ur de tous ces oubli�s de la soci�t� ! Que de tristesse au fond de leur regard ! La retraite serait-elle l�antichambre de la mort ? Et puis cette phrase lanc�e par un petit vieux blas� : �Regardez tous ces jeunes d�s�uvr�s qui n�ont ni travail ni loisirs ! Nous les vieilles peaux, on n�a aucune chance, aucun horizon, sauf celui d�attendre la mort !� Terrible sentence. Sabrinal