Frontière C'est une fois franchie la barrière de l'Aurès que commence le Sahara : finis la fraîcheur des sommets enneigés du Chélia et de Kef Mahmel, les forêts de cèdres, les prairies et les vergers. Ici, c?est le domaine du palmier, le pays des sables et de la chaleur? Les villes et les oasis s'égrènent au milieu du désert, brillantes comme des perles : Biskra, El-Oued, Guemmar, Touggourt... Ici, c'est le pays des nomades pasteurs, mais aussi des agriculteurs qui cultivent essentiellement le palmier dattier. Le Saharien est hospitalier : c'est toujours pour lui un plaisir d'accueillir l'étranger et de lui faire découvrir les beautés de son pays : dunes de sable, oasis couvertes de milliers de palmiers et d'arbres fruitiers, mosquées à l'architecture si particulière, ruines des civilisations passées? Ils ont aussi des contes et des légendes à raconter par centaines. Et parmi ces légendes, la mémoire garde le souvenir de Bent El-Khass... A Biskra comme à Tolga, à Laghouat, à El-Oued, même si le personnage n'est pas toujours très connu, on cite encore ses sentences et on se rappelle quelques épisodes de sa vie. «Comme a dit Bent El-Khass», dit-on dans la tradition des citations, ou alors à l'occasion d'un événement ou pour illustrer un fait, on rappelle une anecdote dont Bent El-Khass est l'héroïne. Les personnes les mieux informées rattachent Bent El-Khass aux Banu Hillal, les tribus arabes qui envahirent le Maghreb au XIe siècle et arabisèrent de vastes régions en y développant leur mode de vie et en y répandant leurs coutumes et leurs m?urs.... La littérature arabe cite une certaine Hind Bent El-Khass, célèbre pour sa sagesse. Al-Farazdaq, qui a vécu au VIe siècle de l'ère chrétienne, la cite dans un vers. On a pensé qu'il s'agissait de la fille du dernier roi de Hira, Al-Noaman, mais cette opinion n'est pas admise par tous. La Bent El-Khass dont il s'agit est une femme du peuple, connue pour avoir plaidé devant un juge, Qalmas, dans une affaire l'opposant à sa s?ur. Elle remercia le juge dans un vers que l'on cite souvent : «Dieu récompense l'homme bienfaisant, qu'il récompense donc Al-Qalmas !» Toujours dans la littérature orientale, on donne au père de Bent El-Khass, le nom de Khass ben Djabir ben Qora'it Al-Lyadi : de ce dernier nom ethnique provient, parfois, le surnom donné à Bent El-Khass : Al-Lyadiyya. D'ailleurs, certains auteurs n'hésitent pas à la rattacher à la légendaire tribu des 'Adites, qui passe pour avoir été un peuple de géants ! Signalons que cette légende d'une femme appartenant à un peuple de géants ne se rencontre nulle part en Algérie. Revenons justement à la Bent El-Khass algérienne. La femme, prénommée M?barka, un prénom bien algérien, est toujours située dans les régions sahariennes. Au XIXe siècle, un auteur français, M. de Castries, sans citer ses sources, écrit qu'elle appartenait à la tribu des Banu 'Amer et vivait, au XVe siècle, dans les zones désertiques du Sud oranais. Mais ces informations ne sont pas admises par tous et plusieurs auteurs, notamment René Basset, qui a recueilli au début du siècle précédent de nombreux récits relatifs à Bent El-Khass. Ce personnage, connu pour ses répliques mordantes et sa grande sagesse, est à l'image, en Kabylie, de Cheikh Mohand Oul Houssine ou de Cheikh Bouamrane, que nous évoquerons également dans d'autres articles. (à suivre...)