Catégorie «Hittistes !» Le mot est froidement lâché par des jeunes sans travail, qui consument quotidiennement leur lassitude, adossés aux murs du vieux quartier de Derb. Combien sont-ils, ces jeunes entre 16 et 25 ans, sans travail ? Houari, 24 ans, est l?un d?eux. En regardant les vitrines inaccessibles du centre-ville, il pense à ses copains qui ont «la chance» d?être à Paris. Ces échoppes, qui parsèment nerveusement les dédales de ce quartier touffu et renfermé sur lui-même, interpellent la curiosité du visiteur : dinanderie, bijouterie, tapisserie, cordonnerie et autres lieux de xylographie... Le quartier de Derb est traversé d?innombrables petites venelles qui font penser à des nervures de quelques feuillages de la saison automnale. La concentration humaine y est très importante, bruyante, amassée, entassée et indisciplinée. La grande cohue de la populace se meut dans un décor surréaliste. Allez donc demander aux vieux habitants de ce quartier les raisons de cet état de fait, ils vous répondront candidement : «Notre quartier est un vieux village», sans plus. Longtemps soumis aux aléas de la nature et à l?indifférence des hommes, le Derb a fini par ployer sous la charge impressionnante des «migrants» qui ont vu dans cette agglomération une planche de salut. En fait, les premiers villageois ont vite fait d?adopter le «style» de la vie urbaine. Délaissant terres et villages, ceux-ci allaient donner un «coup de pouce» aux ouvriers des usines, vraisemblablement premiers occupants des lourdes bâtisses après l?indépendance et le départ massif des juifs en France et ailleurs. La transformation de ces lieux s?est opérée d?une façon spectaculaire. Alors que, seules quelques charrettes à deux roues offraient à l'acheteur toutes sortes de marchandises, les boutiques demeuraient étrangement fermées. Hormis la témérité de certains ruraux, l?ouverture de ces magasins allait donner libre cours aux envahissements quasi anarchiques. La métamorphose fut surprenante. Les dinanderies se transformèrent en épiceries, les bijouteries en quincailleries, les tapisseries en ferronneries et ainsi de suite. Jusqu?à rigidifier la spécificité de cet incomparable quartier, qui donne une sensation de rejet à la seule évocation de son nom. Depuis, beaucoup d?eau a coulé sous les ponts. Surpeuplé et angoissé, le Derb va progressivement sombrer dans l?oubli. Des scènes, jusque-là inconnues dans ce quartier, vont surgir subitement pour devenir une banalité. Et il n?est pas rare que des bagarres, voire des rixes sanglantes, opposent des «clans» rivaux allant quelquefois jusqu?au meurtre. Parfois, les règlements de compte se font à coup de hache et d?épée, plongeant cet infortuné quartier dans l?horreur, endeuillant des familles entières. A partir d?une certaine heure de la nuit, le quartier «appartient» à quelques hordes de jeunes loups qui piétinent et malmènent tout ce qui bouge, stimulés le plus souvent par l?alcool et la drogue. A l?heure actuelle, le haï est un tortueux boyau hachuré par les mauvais traitements qui lui sont infligés, par les coups de gueule et les coups de sabres de garnements qui n?en font qu?à leur tête... Les vieux habitants de Derb vous diront candidement que leur quartier est un vieux village, si vous les croisez sur le chemin du vendeur de beignets, assez tôt le matin.