Différends - Bien que leur nombre ait sensiblement diminué, les réfugiés syriens qui ont pris l'habitude de «camper» au square Port-Saïd à Alger et la place des Martyrs, commencent à connaître leurs premières difficultés avec les riverains. Ou du moins avec les habitués de la Place du square Port-Saïd. Hier, des échanges verbaux vigoureux ont opposé des Syriens à une poignée d'Algérois. «L'Etat a mis à votre disposition des chalets à Sidi Fredj et vous avez refusé de les intégrer, vous n'avez même pas conscience de la faveur qu'on vous accorde, c'est un site dont nous avions toujours rêvé en tant qu'Algériens mais auquel nous n'avons pas droit », fulmine un septuagénaire. «Vous êtes là pour faire votre trafic de devises, vous êtes friqués, allez ailleurs pour faire votre manège», lance-t-il. Un jeune vient à la rescousse du vieux : «Voyez-vous, je suis un ‘'va-nu-pieds'', j'ai vécu toute ma vie dans la rue, et on ne m'a jamais invité à séjourner à Sidi Fredj». Visiblement désarçonnés, les Syriens qui étaient à peine une quinzaine, dont une femme, tentent d'expliquer que le centre d'accueil de Sidi Fredj comporte des «douches communes». L'un d'eux nous révèle sur le ton de la confidence que «les sacs de couchage sont pleins de puces, car le centre était depuis longtemps fermé, nous sommes pris de démangeaisons pendant toute la nuit». A l'autre bout, un groupe de femmes de l'intérieur du pays qui profitait de l'ombrage d'un grand arbre, croit savoir que nos hôtes sont des «Kurdes et non des Syriens». «Ce sont des musulmans, ils ouvrent le droit à notre aide, mais tout doit se faire dans un cadre organisé. L'Etat se devait de confisquer les papiers de ces gens-là dès leur entrée sur le territoire national», soutient une femme d'un certain âge. Et de poursuivre : «A l'époque où nous endurions les années noires du terrorisme, aucun peuple ou pays n'a daigné s'intéresser à nous.» Un jeune brandit un journal arabophone qui fait état, à la Une, du trafic de dollars auquel se seraient livrés les réfugiés. «On ne comprend pas pourquoi la presse algérienne dit des contrevérités, les journalistes auraient pu se rapprocher de nous puisque nous avons toujours accepté de parler avec eux», déplore un Syrien originaire de Homs. Pourquoi ces réfugiés ont-ils choisi l'Algérie ? «Nous aurions voulu partir au Liban, qui est le plus proche, mais l'instabilité de ce pays nous en a dissuadés, le second pays de notre préférence, c'est la Jordanie, mais là il faut être réfugié, or nous ne nous considérons pas comme tels, c'est pour la même raison que nous nous sommes détournés de la Turquie», soutient la majorité des personnes qui ont été approchées. D'autres citoyens algériens ne partageaient cependant pas l'avis de ceux qui s'en sont pris à ces infortunés du pays de Bachar al-Assad. «Ils sont là chez nous, sous notre protection, on n'a pas à leur en vouloir de quoi que ce soit», regrette un riverain. La discussion a viré à la polémique sous les yeux des «cambistes», à peine 10 mètres plus loin. Eh oui ! On a tendance à l'oublier, le square Port-Saïd abrite la «véritable» Bourse d'Alger. Me Ksentini : «Ils auront probablement un statut de sinistrés» Pour l'instant les Syriens arrivés en Algérie pour fuir les violences dans leur pays, et dont le nombre est estimé à 12 000, ont un statut de touriste avec un droit de séjour de 90 jours. «Si une famille demande de rester pour se réfugier dans notre pays, je ne pense pas que l'Etat algérien lui refusera cela. Mais je dirai que leur statut en Algérie sera beaucoup plus un statut de sinistrés que de réfugiés, car ces Syriens n'ont aucune corrélation politique, ils ont fui la guerre dans leur pays», a déclaré hier Maître Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l'homme (CNCPPDH). Pour le moment, «ils s'interrogent sur leur devenir après la fin légale de leur séjour en Algérie puisqu'ils sont venus en tant que touristes et dans ce cas-là, la loi ne leur autorise qu'une durée de 90 jours», précise, de son côté, Lahcène Bouchakour, secrétaire général du Croissant-Rouge algérien (C-RA). En attendant, la solidarité s'organise autour de ces réfugiés. Ainsi une vingtaine de familles syriennes ont été installées dans un centre d'accueil à Sidi Fredj. Des repas accompagnés de thé, de gâteaux et de chocolat pour les enfants ont été préparés à la demande des réfugiés. Mais ces familles refusent de rester dans la journée au centre qui offre pourtant toutes les commodités nécessaires ainsi que la sécurité. En fait, elles préfèrent rejoindre la capitale pour s'adonner à la mendicité. «Ce sont des tziganes qui sont connus pour vivre de mendicité. Les autorités algériennes doivent leur interdire de demander l'aumône, car il n'est pas question qu'ils profitent de la situation en Syrie pour mendier autour des mosquées et sur les placettes d'Alger. Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas besoin d'aide eux aussi», explique le Dr Salem Abou Dhad, membre du secrétariat général du pôle national démocratique syrien. Cette situation ne facilite pas la tâche de la mission du Croissant-Rouge qui, dans le camp de Sidi Fredj, assure plus de 200 repas chauds par jour, mais dont la moitié est jetée du fait que ces familles ne regagnent pas le centre au moment du f'tour. «Nous leur offrons tout ce dont elles ont besoin pour qu'elles se sentent à l'aise. Mais certaines préfèrent regagner la capitale pour mendier», souligne le secrétaire général du C-RA.