Avis - Une rencontre en hommage à Rachid Boudjedra pour l'ensemble de son œuvre a eu lieu, jeudi, en marge du 17e Salon international du livre. «Me rendre hommage à 73 ans, je crois que c'est un peu tardif», a toutefois regretté l'homme de lettres. Et de poursuivre : «Je suis triste que mon pays ne m'ait jamais honoré, alors que j'ai reçu des hommages et des prix des plus importants dans le monde.» Rachid Boudjedra, un écrivain bilingue, à l'aise aussi bien en français qu'en arabe, a, en outre, souligné que son lectorat est avant tout algérien, mais il a déploré que ce lectorat ne l'ait reconnu que comme un écrivain francophone. «On m'a marginalisé parce que j'écrivais en arabe. Dès que je me suis mis à écrire en français, on m'a donné plus d'importance», a-t-il dit, accusant les maisons d'édition algériennes de déconsidérer le roman écrit en arabe et de refuser de le publier. Refus qui, d'après lui, a motivé son retour à l'écriture en langue française. A la question de savoir ce qu'il en est du roman algérien aujourd'hui, Rachid Boudjedra dira que «le roman algérien a donné de nombreux grands écrivains, à l'exemple de Kateb Yacine. Mais depuis Kateb Yacine, il n'y a rien eu d'exceptionnel ayant marqué une rupture, un renouveau.» Et, interrogé sur Yasmina Khadra, l'intervenant semble ne pas avoir changé d'avis. «Yasmina Khadra n'est pas un écrivain. Et je le dis en tant que lecteur», a-t-il soutenu, et d'ajouter : «Vous avez demandé son avis à Yasmina Khadra sur ce qu'il pensait de moi. Je refuse de polémiquer.» S'exprimant sur Mohammed Dib, il dira : «Ce n'est pas négatif, mais Mohammed Dib, c'est la vie tranquille.» Concernant Mouloud Mammeri, il a déclaré : «Mouloud Mammeri, grand écrivain, était aussi dans la tranquillité.» En les critiquant, Rachid Boudjedra n'hésite pas à se montrer conciliant à l'égard de sa personne. «Moi, je suis dans l'intranquillité psychologique, romanesque, métaphysique et politique. En 2012, je suis marxiste. Cela fait rire beaucoup de gens et enrager bien d'autres», a-t-il dit. Et s'il s'inscrit dans cette veine, c'est parce que «j'ai la chance d'avoir du talent», a-t-il dit, et d'ajouter : «Je suis le seul écrivain, après Kateb Yacine, à avoir la métaphysique. C'est d'ailleurs mes études qui m'ont orienté sur la voie de l'écriture. Elles m'ont fait aimer l'écriture. La philosophie pour son côté métaphysique, et les mathématiques parce qu'il y a la structure et la rigueur. Elles organisent le texte.» Et concernant le rapport de la littérature à l'histoire, l'auteur, encore une fois, s'octroie tous les mérites. «Je suis le seul à aborder des questions sensibles», a-t-il affirmé. A ce propos, il a cité l'exemple des harkis évoqués dans son roman Hôtel Saint-George. Et de se demander : «Pourquoi la littérature algérienne n'a jamais abordé l'assassinat de Abane Ramdane ?», rappelant, plus tard, avoir souligné dans son roman Les figuiers de Barbarie ce qui apparaît toujours comme un tabou de la guerre de Libération nationale. Rachid Boudjedra reprochera aussi le manquement de certains écrivains à la nécessité «d'une vision politique du monde» à travers laquelle l'écrivain porterait une attention et une conscience fondamentale sur la condition du monde traduisant son engagement, notamment marxiste, et qui est, selon l'auteur, au cœur de sa démarche d'écrivain. - Rachid Boudjedra ne tarit pas d'éloges, durant son intervention, sur Kateb Yacine. «J'ai appris avec Nedjma de Kateb Yacine. En lisant son roman, j'ai dit que je ferai comme lui ou mieux que lui», a-t-il dit, et d'insister : «Mon vrai maître est d'ailleurs Kateb Yacine. Il est un destin, une écriture. Pour moi Kateb Yacine est un éblouissement, une découverte. C'était le coup de foudre. Il est une œuvre monumentale. Je suis toujours collé à lui. C'est mon maître. J'étais en admiration devant lui, devant ses écrits. Il a tracé ce sillon dans la littérature. Il est allé au bout de lui-même. Kateb Yacine ne ressemble à personne, et son œuvre est unique.» Il a, ensuite, parlé de son expérience en tant que scénariste. «J'ai écrit une quinzaine de scénarios, dont Chroniques des années de braise de Lakhdar Hamina, mais jamais un scénario original. Je ne peux pas dire que je suis un bon scénariste», a-t-il dit, et d'ajouter : «J'ai une formation de cinéphile. J'allais souvent au cinéma.» Rachid Boudjedra, qui est aussi poète, s'est exprimé sur son rapport à la poésie. «Mon rapport est au quotidien. L'écriture est d'ailleurs la vie. Je suis toujours un poète, et je me considère comme tel. Un romancier qui ne possède pas la poétique n'est pas poète». Il considère d'ailleurs la poésie comme inséparable de son travail de romancier, et qui se traduit par la grande place accordée à «la poétique du texte romanesque».