Le Salon international du livre d'Alger s'est ouvert hier au public sur un débat avec le romancier Rachid Boudjedra. Fidèle à son sens artistique de la provocation, il s'en est pris à tout le monde. Ou presque. Rachid Boudjedra n'a pas changé d'avis sur Yasmina Khadra. «Yasmina Khadra n'est pas un écrivain. Et je le dis en tant que lecteur», a déclaré l'auteur des 1001 Années de la nostalgie, hier, lors d'un débat à la salle Ali Mâachi, au Palais des expositions des Pins maritimes, à l'est de la capitale, à la faveur du 17e Salon international du livre d'Alger (Sila). «Vous avez demandé son avis à Yasmina Khadra sur ce qu'il pense de moi. Je refuse de polémiquer», a-t-il ajouté. Le plus drôle est que le SILA 2012 rend hommage aux deux romanciers, Boudjedra et Khadra. A quand un face-à-face, un débat, entre les deux hommes de plume ? Plus loin, Rachid Boudjedra a confié avoir «un sens très fort» du mépris. «Ce n'est pas négatif, mais Mohammed Dib, c'est la vie tranquille. Le peu de temps qu'a eu à écrire Kateb Yacine, il n'a pas posé de polémique politique. Mouloud Mammeri, grand écrivain, était aussi dans la tranquillité. Moi, je suis dans l'intranquillité psychologique, romanesque, métaphysique et politique. En 2012, je suis marxiste. Cela fait rire beaucoup de gens et enrager bien d'autres», a-t-il dit. Il s'est élevé contre ce qu'il a appelé les règlements de comptes personnels. «Je n'ai jamais été contre le Printemps berbère. Mais, des berbéristes fanatiques m'ont accusé d'être anti-berbère alors que je suis chaoui. Je suis debout. J'écris. Les gens me rencontrent lorsque je suis au marché avec mon couffin. J'ai une vision politique du monde que les autres écrivains n'ont pas», a appuyé l'auteur de Extinction de voix. Il a illustré son propos par les souffrances de l'écrivain américain William Faulkner. «Parce qu'à l'époque, la société américaine était comme notre société aujourd'hui, fermée et puritaine. Faulkner était anticonformiste. Il a subi l'interdit pendant vingt-cinq ans», a-t-il noté. Il s'est attaqué à la presse mexicaine qui n'a pas été tendre avec la traduction espagnole de son roman L'escargot entêté. «C'est une presse anti-algérienne et pro-islamiste. Pourtant, dans L'escargot entêté, je critiquais d'une manière fine la bureaucratie algérienne de l'époque», a-t-il lancé. D'après ses dires, la plupart des sites littéraires sur internet lui sont hostiles. «Les trois quarts de ces sites sont erronés. Il y en quelques-uns qui sont corrects, comme celui de l'université Harvard aux Etat-Unis, deux autres en Egypte et en Algérie», a-t-il révélé. Concernant le rapport de la littérature à l'histoire, l'auteur de La pluie a relevé avoir été le seul à aborder des questions sensibles. Et de citer l'exemple des harkis évoqués dans son roman Hôtel Saint-George. «Pourquoi la littérature algérienne n'a jamais abordé l'assassinat de Abane Ramdane ?», s'est-il demandé. Il a rappelé avoir souligné dans son roman Les figuiers de Barbarie ce qui apparaît toujours comme un tabou de la guerre de Libération nationale. «On m'a marginalisé parce que j'écrivais en arabe. Dès que je me suis mis à écrire en français, on m'a donné plus d'importance», a-t-il dit, accusant les maisons d'édition algériennes de déconsidérer le roman écrit en arabe et de refuser de le publier. Refus qui, d'après lui, a motivé son retour à l'écriture en langue française. Enfin, Rachid Boudjedra a critiqué les diplomates français en poste à Alger. «Dans le passé, il y avait de bons Français. Aujourd'hui, ils sont mauvais, des diplomates guerriers !», a-t-il accusé. A propos de la controverse sur le film anti-islam Innocence of muslims et les caricatures haineuses du journal français Charlie Hebdo, Rachid Boudjedra a estimé qu'il ne faut pas insulter les religions. «Je refuse qu'on touche à l'islam, au christianisme ou au judaïsme. Au judaïsme, pas au sionisme. On doit respecter les convictions des gens. On doit respecter les personnes qui ne croient pas à la religion», a-t-il plaidé. D'après lui, le discours en Algérie est pro-américain et pro-européen. «Je tiens un autre discours. Je suis monté contre l'Occident fasciste qui donne des leçons de démocratie. Depuis que je suis enfant, je n'ai jamais fait confiance aux Européens, aux Occidentaux par rapport à nous, pays anciennement colonisé», a souligné le romancier minimisant les récentes révoltes populaires dans le Monde arabe.