Un écrivain qui n'a pas sa langue dans la poche Rachid Boudjedra reprochera aussi le manquement de certains écrivains à la nécessité «d'une vision politique du monde». L'écrivain est revenu sur les incidents et les événements du printemps arabe en dénonçant un certain «complot occidental organisé et structuré» visant à déstabiliser certains pays aux ressources avérées sans cautionner le préjudice et l'irresponsabilité des régimes totalitaires. L'écrivain s'est déclaré également sur certains faits d'actualité, comme ceux relatifs au film islamophobe qui a provoqué des manifestations et des violences dans certains pays musulmans et qu'il a qualifié de «manipulation», tout en condamnant «les atteintes à la religion quelles qu'elle soient». Une salle de conférences presque vide ce jeudi au Salon international du livre à Alger en compagnie de quelques amis, journalistes et lecteurs et du journaliste et animateur Youcef Sayeh en vue d'un hommage assez pauvre d'un homme sans compromis et sans langue de bois. Dès le début de la conférence l'auteur Rachid Boudjedra, non sans une certaine ironie, a parlé de «la minorité écrasante», termes sur lesquels il a insisté, en guise de remerciements au maigre public venu assister à son hommage, témoignant son amitié à ses fidèles lecteurs ainsi qu'à l'élite éclairée pour laquelle il a toujours écrit, tout en déplorant l'absence de reconnaissance de l'héritage auquel il a participé pour son pays et qui sest vu recevoir un petit hommage convivial mais bien tardif, évoquant avec beaucoup d'amertume l'abandon et le manque de respect vis-à-vis de ses oeuvres en langue arabe et d'un refus de l'Algérie à reconnaître son statue d'écrivain en langue arabe. Rachid Boudjedra a également parlé de son parcours méconnu en tant que scénariste tout en expliquant les difficultés liées à l'adaptation littéraire d'oeuvres aussi denses, relatant l'histoire des écrivains qui l'ont marquée tels que Marcel Proust, William Faulkner et les problèmes liés à l'adaptation des oeuvres romanesque de ce dernier, des difficultés liées aussi à la condition d'écrivain en l'absence de ressources, dénonçant ce rôle et cette position amère de l'homme en son abandon et qu'il a subi dans ses dernières années. L'écrivain Rachid Boudjedra a étayé et rappeler sa grande admiration pour l'écrivain Kateb Yacine ainsi que la forte emprise que son «vrai maître» aura eu sur lui en mentionnant une indéniable force d'écriture et d'engagement chez son idole qui n'a pas eu à forger son esprit par des études ou une préparation académique contrairement à lui et tant dautres écrivains. Rachid Boudjedra reprochera aussi le manquement de certains écrivains à la nécessité «d'une vision politique du monde» à travers laquelle l'écrivain porterait une attention et une conscience fondamentale sur la condition du monde traduisant son engagement, notamment marxiste, et qui est, selon l'auteur, au coeur de sa démarche d'écrivain. L'auteur s'est aussi exprimé sur la dimension poétique du travail romanesque en insistant sur la nécessité d'une poétique dans la texture romanesque avec un principe de «textualité», un travail de romancier influencé par son double apprentissage, philosophique et mathématique, estime l'écrivain, et qui lui a permis d'introduire une dimension métaphysique dans ses romans, poursuit-il, une dimension dont il revendique la primauté dans le champ littéraire maghrébin. L'auteur Rachid Boudjedra s'est exprimé sur son illustration dans les deux langues en comptabilisant 12 oeuvres en langue arabe et 17 en langue française dont une grande majorité des ouvrages conjurant et mettant à nu tous les questionnements liés aux ambiguïtés de l'identité. Il a également recensé les bienfaits de la vision politique d'une révolution structurée évoquée à travers la forte présence de la matière historique qui se caractérise dans ses oeuvres, de la guerre de Libération nationale dans ses deux derniers romans, Hôtel Saint-Georges et Les figuiers de Barbarie, passant par l'histoire de la civilisation arabo-islamique avec les 1001 années de nostalgie ou La prise de Gibraltar jusqu'au pamphlet dénonçant la violence de l'intégrisme islamiste dans Fils de la haine. Bien qu'imprégné d'une forte rancune, Rachid Boudjedra a scellé la rencontre sur une note d'espérance, en évoquant toute une expérience acquise dans ses échanges partout dans le monde où il a oublié la rancoeur au profit de son amour inconditionnel pour son pays, son peuple et son histoire. En attendant la sortie de l'oeuvre poétique complète rassemblant un grand nombre de vers du poète Rachid Boudjedra aux éditions Barzakh, il est à espérer qu'un hommage plus conséquent puisse être rendu à l'homme, à l'homme intranquille qu'il est, à l'écrivain et son travail colossal qu'il représente et à son statut d'écrivain afin de réparer une flagrante injustice.