Assurance - Hafida était très à l'aise pendant l'examen du bac, c'était le résultat de longs mois de préparation. Si El Amri prit son éventail sur le comptoir de sa petite épicerie, il s'éventa tout en pensant que l'été a été précoce cette année-là sur les Hauts-Plateaux. Il respira profondément, l'air chargé de l'odeur du blé fraîchement moissonné. Il avait du mal à bouger tant il avait chaud, il prenait de l'âge. Heureusement que son fils était là à s'occuper de tout, comme toujours. Peu à peu, il supplantait l'autorité de son père. Ce dernier aurait aimé le voir poursuivre ses études. Il le voyait déjà médecin ou ingénieur. Malheureusement, il n'avait jamais aimé l'école. Tout jeune déjà, il était fourré dans le magasin de son père, ou jouait à cache-cache avec ses copains dans les champs de blé. Il arriva tant bien que mal jusqu'au brevet qu'il n'a pas eu d'ailleurs. Son père se faisait beaucoup de soucis pour lui, car il était très jaloux de sa sœur cadette. L'idée que Hafida fasse des études supérieures lui était insupportable. Pour le moment, elle préparait son bac... Il se pourrait que ... Agée de dix-sept ans, Hafida était grande, belle, robuste comme le sont souvent les femmes en milieu rural, elle avait aussi une superbe chevelure qui tombait jusqu'aux genoux. Elle ne se mettait jamais au lit après la prière de l'aurore. Elle ne laissait pratiquement rien à faire à sa mère si ce n'est la galette au levain. Une fois tous les travaux domestiques accomplis, elle s'acharnait à ses études, le bac était pour bientôt. Elle avait choisi la branche sciences exactes qui s'avérait difficile, mais elle était sûre qu'elle en viendrait à bout. Elle se battait beaucoup plus pour avoir le «très bien» cette mention-là, elle la voulait surtout pour son père pour qu'il soit encore plus fier d'elle. Il lui avait promis qu'elle irait chez sa tante à Alger, l'école d'architecture se trouvait à cinq minutes de chez elle. Cette dernière n'avait qu'un fils, et il était à l'étranger. Hafida se voyait longer la rue bordée de palmiers et d'arbres taillés au carré qui menait à l'institut. Elle s'était promis qu'elle ne changerait rien à ses habitudes, elle aiderait sa tante à la maison comme elle le fait pour sa mère. Elle avait convenu avec son père qu'une fois le diplôme obtenu, le premier plan qu'elle ferait serait celui de leur maison. De son côté, il devait économiser le maximum d'argent pour la construction. Ces cinq longues années seraient d'un dur labeur autant pour l'un que pour l'autre. Le jour «j» arriva, le père nerveux accompagna sa fille au centre d'examen qui se trouvait à vingt-cinq kilomètres. Durant trois longues et pénibles journées, le père était dans tous ses états, il en était malade. Quant à sa fille, elle noircissait de grandes feuilles blanches de tout son savoir. Hafida était très à l'aise pendant tout l'examen, c'était le résultat de longs mois de préparation. A la fin de la dernière épreuve, elle posa le stylo d'un air mitigé : quelle mention aurait-elle ? Elle avait tellement travaillé pour le «très bien». Cette mention était comme une idée fixe, une véritable obsession durant l'attente interminable des résultats. Au bout de la troisième semaine, enfin, les résultats étaient affichés, Hafida partit fiévreuse au lycée. Aura-t-elle la mention ou pas ? Ce n'est qu'une fois face à la liste des résultats qu'elle poussa un gros soupir de soulagement. Enfin, elle l'a cette «sacrée» mention. Elle fut tellement heureuse qu'emportée par l'élan de joie elle se retrouva chez elle sans s'en rendre compte. Sa mère, le cœur gonflé de joie, l'accueillit avec des youyous, qui mirent au courant tout le voisinage. Son père et son frère accoururent. Elle se jeta dans les bras de son paternel en lui disant : « La mention, je l'ai eue. J'ai tout fait pour l'avoir pour toi. » L'orgueil de Si El-Amri était à son paroxysme. Les yeux pleins de larmes, il regarda sa fille avec une grande fierté : le cadeau qu'elle venait de lui faire n'avait pas de prix. Et ce fut plus que ne pouvait supporter son frère. (A suivre...)