Résumé de la 1re partie - Après le départ de son fils, Yamina se met à pleurer tout haut, le cœur étreint par l'angoisse. Il ne se retourne pas une seule fois. Il sait qu'une fois parti, il est de mauvais augure de se retourner. Elle le sait aussi, et ne le rappelle pas, tout occupée à emplir ses yeux de son image, balbutiant des bénédictions. Quand il disparaît derrière les arbres, elle entre, referme la porte derrière elle et se met à pleurer tout haut, assise sur le sol de terre battue, les jambes écartées. De temps en temps, dans un cri sourd, elle frappe de ses deux mains ses cuisses, dans un geste de désespoir. Ses cheveux gris s'échappent des foulards qui lui entourent la tête et tombent sur sa poitrine en deux lourdes nattes. Puis, quand enfin elle se calme, elle se relève en geignant. Le jour s'est levé, maintenant. Un jour triste, gris. Les arbres devant la maison frémissent sous le vent. «Heureusement qu'il porte le manteau et le chèche du vieux !», se dit-elle comme pour se rassurer. Puis aussitôt, elle pense qu'il aura froid aux pieds. Ses chaussures éculées sont si fines, et s'il pleut, elles seront vite trempées. Elle regarde le ciel. Mais pas un nuage ne pointe à l'horizon. Le lendemain matin, elle se lève comme à l'accoutumée mais elle n'a pas dormi de la nuit. Mon fils, où es-tu en ce moment ? As-tu trouvé quelqu'un pour t'abriter où es-tu dehors, dans le froid ? Elle se parlait à elle-même, puis quand elle se sentait trop lasse, elle se mettait à gémir doucement, le cœur gonflé, les yeux secs. Puis, elle se levait et se mettait à prier. A chaque prosternation, les planches de la sedda craquaient doucement. Elle essayait de dormir, mais dès qu'elle fermait les yeux, l'image de son fils revenait la tarauder. Yamina s'obligea à avaler quelques cuillerées de couscous cuit avec des betteraves et de l'ail. «Je vais garder les plus belles betteraves pour quand il reviendra. Il aura très faim.» Et elle plaça les légumes dans une petite botte de paille qu'elle serra dans le grand tapis de roseaux roulé dans un coin. Pendant le repas de midi qu'elle prend près du feu, elle réfléchit longuement, les yeux fixés sur les bûches incandescentes. «Je dois m'occuper ! Il faut que je travaille beaucoup jusqu'à son retour. Je ne vais penser à rien. Dieu le protège. Il est toujours avec les faibles et les orphelins, et lui est faible et orphelin !» Elle remonte sa ceinture en faisant bouffer ses gandouras au-dessus pour dégager ses jambes à la façon jijélienne, resserre ses foulards en cachant ses oreilles, endosse son court gilet de laine bleue qui l'a protégée durant de nombreux hivers et, armée d'une pioche, elle ouvre grande la porte et sort dans le froid. Un vent fort, venant de l'ouest, siffle dans ses oreilles, l'obligeant à se courber en deux pour avancer. Sans le poids de sa lourde pioche, il l'aurait peut-être emportée. Les yeux à demi-fermés, le front plissé par l'effort, Yamina avance jusqu'au petit lopin de terre derrière la maison. Et là, malgré le froid et le vent, elle entreprend de piocher la terre dure, en commençant par le bout le plus éloigné de sa maison de terre... Ce n'est que vers deux heures de l'après-midi qu'elle s'arrête de piocher. Le vent est tombé et elle retourne lentement à son logis, harassée, retenant d'une main ses foulards multicolores qui avaient glissé sur ses épaules. Avant de rentrer, elle scrute l'horizon un long moment avec le fol espoir de le voir apparaître au tournant du chemin qui monte vers la maison. «Bonjour Yamina ! Tu étais au champ ? Il n'y avait personne chez toi, alors je suis partie à ta recherche à la fontaine...» C'est Zohra, sa plus proche voisine, une femme calme entre deux âges, mariée à un forgeron du village et qui lui rend visite de temps en temps, par devoir, car le mari de Yamina était de son vivant un ami du forgeron. (A suivre...)