Ma?za wa lewla t?aret (c?est une chèvre même si elle vole) : cet adage, au premier abord étrange, a, comme tous les adages et les bons mots, son histoire. C?est celle d?un homme borné qui croit à ses opinions et ne veut pas en démordre : on lui dit «le plat est chaud» (teh?ma, disent les Kabyles), il répond «c?est froid» (semmd?at), on lui dit «c?est froid !», il répond «c?est chaud !». C?est en quelque sorte le gars avec qui le dialogue est impossible ! Un soir, notre homme rentre chez lui en compagnie d?un autre, également borné, mais un peu moins que lui? Comme il fait sombre, ils n?aperçoivent que la forme des choses, faiblement éclairées par la lune. Et voilà qu?une silhouette apparaît au loin. Ils croient d?abord à un rocher, mais la chose bouge. «C?est une chèvre ! dit notre borné ? Non, répond son compagnon, ce n?est pas assez gros pour être une chèvre ! C'est plutôt un corbeau !» L?homme secoue la tête : «Un corbeau ? Il se serait déjà envolé ! Moi, je te dis que c?est une chèvre ! ? Et moi, je te dis que c?est un corbeau ! ? Et moi, je te dis que c?est une chèvre !» L?échange menace de devenir dispute. L?homme qui soutient qu?il s?agit d?un corbeau se baisse, prend une pierre et la lance sur la forme : il y a aussitôt un bruissement d?ailes, un croassement strident et la forme s?élève dans le ciel. «Je te l?avais dit, s?exclame l?homme triomphalement, c?était bien un corbeau et non une chèvre comme tu l?as soutenu ! ? Non, dit l?autre, c?est une chèvre ! ? Mais tu viens de le voir s?envoler ! ? Et moi je te dis que c?est une chèvre, même si elle vole !», il fallait absolument qu?il ait le dernier mot, et il l?eut. Q?importe s?il fait subir une entorse à la logique et au bon sens ! Les Chaouis rapportent la même histoire et le même adage, mais cette fois-ci en berbère : «Tghat? uma tferfer !»