Illusion - Naïvement, il attendra, pendant très longtemps, un signe de Nehru. Ce signe n'arrivera jamais. Comme tous les indigènes, il a quitté l'école à 14 ans, en 1918. Issu d'une vieille famille de travailleurs honnêtes et irréprochables, Kaddour commencera sa vie par clouer des chaussures dans une modeste boutique populaire du centre de Mostaganem. Il apprendra très vite le métier de cordonnier. Et comme il se contentait de peu et qu'il avait une revanche à prendre sur le sort, il réussira, à force de privations, à louer pour son compte la boulangerie que le fils gâté d'un Espagnol a mise en faillite. Kaddour très économe redressera en quelques mois la situation en trimant comme un forcené du matin au soir. Et le soir justement il n'avait qu'une seule envie : lire son journal et dormir tout son saoul. Contrairement à son frère cadet qui a commencé à militer très jeune dans les rangs du PPA non sans faire quelques brefs séjours en prison, Kaddour n'a jamais laissé paraître ses sentiments patriotiques et a toujours caché un nationalisme ardent. Au point qu'un article de journal l'attira tout particulièrement un soir. C'était un message de paix de Nehru aux hommes de bonne volonté et dans lequel le leader indien exhortait les peuples de la planète à trouver le chemin de la concorde. Prenant l'article à la lettre, Kaddour, très emballé, écrira à Nehru une longue lettre de félicitations. Et comme il ne pouvait pas envoyer ce courrier par la poste, il attendit le moment propice pour le lui transmettre. Et ce moment se présenta à l'occasion du voyage officiel que devait effectuer Nehru à Paris. C'est son frère cadet, Brahim qui se chargera de l'opération. Il brouillera les pistes de la DST en se faisant pousser la moustache. Il évitera l'avion et prendra le bateau. Après quelques péripéties pendant la traversée et à Marseille, Brahim déposera enfin la lettre à l'ambassade de Paris. Quelques semaines plus tard Brahim annoncera à son frère le succès de sa mission. Kaddour, naïvement, attendra, pendant très longtemps, un signe de Nehru. Ce signe n'arrivera jamais.