Drame - Le fils de Zohra doit être enfermé dans un asile, mais elle ne veut pas s'y résigner. Zohra, en disant cela, se met à pleurer. — Où est-il, en ce moment ? — Je ne sais pas, il erre dans la montagne, tout seul ! — Il doit être soigné, Zohra, sinon un jour, il s'en prendra à toi ! C'est trop tard pour lui ! — Je ne veux pas les laisser enfermer mon unique fils, hadja, peut-être qu'il retrouvera la raison un jour ! — Oui, Dieu est Grand et peut tout ! Mais fais attention à toi... Et Zohra rentre lentement chez elle, les pans de sa vieille robe à fleurs marron, toujours la même, traînant par terre, balayant le sol. Presque tous les soirs, Baya, tenant un gros bébé dans ses bras, s'approche du grillage, écrasant son nez contre le fil de fer, regarde el-hadja de son air curieux. — Attends, Baya ! Et el-hadja lui glisse par-dessus la clôture un paquet où elle a enveloppé du pain, un gros morceau de viande ainsi que des fruits. La jeune femme sourit. — Dis, comment nourris-tu ce bébé ? — Je lui donne du pain ! Il mange comme moi ! — Mais il est encore trop jeune, tu vas le tuer ! Donne-lui le sein ! Baya, l'idiote du village, qui vit seule, depuis la mort de ses parents, dans une petite baraque à l'orée du hameau, est enceinte chaque année, donnant naissance à de gros bébés dont jamais personne ne connaît le père. Les enfants sont, dès leur jeune âge, élevés par les familles du hameau ou par des gens de la ville qui n'ont pas d'enfants. — Ecoute, Baya, lui recommande à chaque fois el-hadja, prends un gros bâton, et si quelqu'un s'approche de ta maison, la nuit, donne-lui un bon coup, ne le laisse pas entrer ! L'idiote se met à rire et rebrousse chemin, le bébé dans ses bras. Jamais, au bout de ces quinze jours, elle ne verra Mounira, car cette dernière, fiancée maintenant, ne quittera la maison paternelle que le jour de ses noces. «Comme elle est bête de quitter ce paradis pour aller en ville. A sa place, j'épouserais un garçon d'ici.» Parfois, la vieille femme, de son pas lent, se promène au-delà du hameau, du côté des champs qui s'étendent à perte de vue jusqu'au pied des montagnes. Le vent du soir souffle sur les vertes prairies bordées de nappes blanches de pâquerettes, comme un tapis volant. La beauté des collines est extraordinaire, et el-hadja essuie ses yeux larmoyants, se revoyant petite fille à Yarjana.