Portrait - Yamina Mechakra, l'une des grandes figures de la littérature algérienne, nous a quittés hier, à l'âge de 64 ans. Décédée des suites d'une longue maladie, elle sera inhumée aujourd'hui au cimetière de Sidi Yahia à Alger, après la prière de la mi-journée. Née dans le nord des Aurès en 1949, Yamina Mechakra, docteur en médecine‚ psychiatre‚ s'adonne très tôt à l'écriture‚ mais ne publiera son premier roman‚ ‘La Grotte éclatée'‚ qu'en 1979. Il a été édité, à l'époque, par la Sned et aussi réédité en 1986. C'est à son propos que Kateb Yacine écrivit dans sa préface «Dans notre pays‚ une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.» Quant au roman, le plasticien Mohamed Issiakhem le qualifie de «poème en prose». La critique en rejoignant l'avis de ce dernier, l'avait considéré comme un «long poème en prose qui peut se lire comme un roman». Elle traite dans ce roman qui a été bien accueilli par la critique de la Guerre de Libération nationale, les affres de la colonisation à travers son propre vécu. C'est l'histoire d'une infirmière narratrice. Elle raconte la vie des maquisards. Les événements se déroulent dans une grotte près de la frontière tunisienne. Après l'éclatement de la grotte et le séjour d'une année dans un hôpital psychiatrique, il nous est relaté le séjour en Tunisie de 1959 à 1962. Et après 1962, c'est-à-dire au lendemain de l'indépendance, c'est le retour au pays. La narratrice accompagnée d'Arris, son fils né dans la grotte, rendu infirme par le napalm, de Hamoud le poète et Kouider dans son cercueil, retrouve cette grotte, cette obsession. Celle qui a toujours été très proche de ses patients, se montrait particulièrement sensible à leur souffrance. Elle prolonge son imaginaire littéraire, plus de vingt ans plus tard, avec un second roman. ‘Arris', sorti en 2000 aux éditions Marsa, est un roman en prose. ‘Arris', le titre du roman, est un enfant des Aurès, arraché à sa mère et à son terroir, violé, puis emmené vers le Nord. Indifférent à la gloire, au luxe, à l'amour, il traverse le siècle à la recherche de son enfance et d'une identité obsessionnelle. Ce livre est inspiré d'un vécu amer. C'est à l'hôpital de Béni Messous dans un service que Yamina Mechakra avait créé pour les filles-mères, qu'un jour, alors qu'elle était de garde, une femme se présente avec son enfant déshydraté, on lui exige le livret de famille qu'elle n'a pas et on lui refuse son hospitalisation. Dans ce roman, l'auteure pose la tragédie des mères célibataires et des enfants abandonnés. Arris, c'est aussi le cri d'une mère, d'un enfant abandonné.Yamina Mechakra raconte : «Je garderai toujours en mémoire l'image de cette mère de 17 ans qui, après m'avoir jeté dans les bras son nourrisson, est tombée par terre. Elle était sûre d'avoir laissé entre de bonnes mains son bébé.» Yamina Mechakra, qui a aussi écrit quelques nouvelles moins connues, reste l'une des références de la littérature algérienne d'expression française. Car seulement avec deux textes romanesques, elle a pu s'imposer comme une romancière confirmée. D'ailleurs, dès ‘La Grotte éclatée', Yamina Mechakra a révélé son talent d'écrivaine. Elle a confirmé, une fois de plus, son don inégalé pour l'écriture. C'est «une véritable apparition littéraire qui s'invite à l'instant présent.» - La ministre de la Culture, Khalida Toumi, pour qui la disparition de Yamina Mechakra est un «deuil pour la grande famille de la culture», a loué, dans un message de condoléances adressé à la famille et aux proches de la défunte, les qualités humaines de la romancière, tout en s'inclinant «avec déférence et respect» en hommage à cette personnalité. La ministre, qui a évoqué la «personnalité brillante, sensible et attachante» que fut Yamina Mechakra, a déclaré que cette dernière «a traversé la lutte de libération nationale avec les yeux d'un enfant, mais le regard d'une adulte». «L'acte d'écrire fut probablement un moyen d'exorciser la douleur et l'horreur de la guerre chez cette écrivaine de talent qui s'est nourrie, collégienne puis lycéenne, des meilleurs classiques universels, avant de publier en 1979 son sublime roman ‘La grotte oubliée' puisé de la culture populaire aurésienne dont elle était pétrie», a ajouté la ministre. Elle soulignera, en outre, qu'au sein du groupe Kateb-Issiakhem qu'elle a côtoyé, Yamina Mechakra avait appris l'écriture «vraie», celle «qui dit les mots et les silences de son peuple». La ministre rappelle aussi, dans son message, le parcours estudiantin qui propulsera la défunte vers la psychiatrie pour collaborer dans l'équipe de feu Mahfoud Boucebci, dont «l'assassinat par le terrorisme intégriste», estime la ministre, constituera un «tournant dans la vie de Yamina Mechakra». De cet épisode violent, l'écrivaine gardera, rappelle-t-on, une profonde blessure qui finira par la diminuer psychologiquement et physiquement.