Demain, à l?occasion de la Journée mondiale contre le tabac, la triste réalité à retenir, c?est que les pays en voie de développement, dont l?Algérie, sont les plus touchés par ce fléau au bonheur des grosses firmes occidentales. Le tabac fait des milliers de victimes parmi les fumeurs, mais aussi les non-fumeurs exposés, sans aucune protection, au danger. Tel pourrait être le message direct, clair et sans ambages de ceux qu?on appelle communément fumeurs passifs : ceux dont le seul et unique tort est de partager les mêmes lieux publics, les mêmes bus, les mêmes trains, les mêmes cafés que les fumeurs auxquels on devrait toutefois épargner quelques embarrassantes leçons moralisatrices malgré leurs impardonnables gestes. Ces gestes par lesquels ces enquiquineurs effrontés polluent l?air et obligent les autres, pourtant à en subir les effets, de jour comme de nuit, en toute impunité, car ces insolents ont en face d?eux des lois obsolètes confinées à rester éternellement lettre morte et des campagnes de sensibilisation sans réel impact en dépit des sommes colossales déboursées. Mais ces cris demeurent souvent inaudibles, sans effets, car les fumeurs disent, entre chaque bouffée, tous et à l?unisson : «Fichez-nous la paix, laissez-nous tranquilles !» Et entre les deux camps, viennent se greffer des spécialistes antitabac, des psychologues, des médecins, des imams et aussi des cigarettiers, ceux-là mêmes par qui le mal arrive, un mal nécessaire pour l?économie du pays, dit-on, car sur chaque paquet de cigarettes vendu, une taxe d?un dinar est prélevée et va directement au Trésor public. Entre les deux, la polémique bat son plein : aux maladies chroniques, dilapidation de l?argent, h?ram, manque de personnalité des uns, s?opposent le bien-être, l?émancipation, et l?intelligence des autres. Un dialogue de sourds qui dure depuis la nuit des temps. Aujourd?hui, c?est la Journée mondiale de lutte antitabac. Une célébration trop éphémère pour faire bouger les choses d?un iota et trop festive pour dissuader ceux qui attrapent la mort par le bout et la mettent sur des lèvres sèches. Cette journée sera sans doute semblable à ses devancières : on prend les mêmes arguments médicaux, les mêmes études épistémologiques, les mêmes statistiques effarantes pour parler des effets dévastateurs du tabac, de son impact soci-médico-économique, mais on omet de signaler que les belles blondes et brunes attisent de plus en plus les convoitises et que le débat fumeur-non-fumeur est d?ores et déjà biaisé. L?on est forcé de constater cruellement aussi que si 100 000 personnes meurent chaque année à la suite de maladies liées directement à la consommation du tabac, l?on énumère plus de 10 000 nouveaux adolescents qui deviennent fumeurs pour la vie, par un geste qu?ils auraient pu éviter s?ils n?avaient pas eu cette envie terrible d?être adultes avant l?heure et que si des centaines de milliards sont consacrés annuellement à la lutte antitabac tous azimuts, d?autres milliards atterrissent dans le Trésor public par la vente de ce poison très lucratif et qu?aussi paradoxal que cela puisse paraître à mesure que la lutte devient implacable, la consommation et la ruée vers la cigarette et chema, autre produit très prisé ? certes moins polluant mais tout aussi nocif? deviennent de plus en plus accrues, car comme le souligne une noria de sociologues bien au fait de ce fléau tentaculaire, «les interdits sont faits pour être transcendés», ce qui laisse présager, de la sorte que aucune loi, aussi dissuasive soit-elle, ne pourrait venir à bout d?un geste devenu, par la force des choses, mécanique, donc un élément constitutif de la personnalité. Aucune loi ne saurait faire changer d?avis un consommateur qui commence tôt sa matinée par quelques bouffées adoucissantes sans prendre conscience des dégâts incommensurables que ce geste naturel et mécanique peut engendrer à court, à moyen ou à long terme, ce geste qui, malheureusement, a fini par terrasser un ami, un parent ou un voisin emporté quelques jours avant par une mort nommée cancer. Fumer pour le plaisir ou pour tuer le temps, fumer pour s?émanciper ou pour s?autodétruire sont tous le revers de la même médaille : tant qu?il y aura de la fumée, il y aura du feu.