Au soir du 14 avril 1970, il y a du brouillard sur Houston, la ville des vols lunaires, de l?électronique et des ordinateurs. Quelque part aux environs de la ville, dans un grand bâtiment de la Nasa, sont rassemblés quatorze hommes et une femme. Ils sont assis devant des écrans de télévision, des pupitres où s?alignent des rangées de boutons. Ils ont le casque d?écoute aux oreilles, le micro à quelques centimètres des lèvres. Ils boivent du café dans des gobelets de carton. Ils sont là depuis plusieurs heures. Ils attendent qu?une autre équipe vienne les relayer. A Houston comme chez Ford ou chez Renault, les contrôleurs de vol font «les trois huit». Les antennes sont pointées vers l?infini de l?espace où trois hommes, à trois cent mille kilomètres de là, sont en route vers la lune à bord du vaisseau cosmique Odyssée. «Un vol de routine», écrivent les journalistes, un peu partout dans le monde. C?est aussi ce que pense le public, surpris de sa propre indifférence. Neuf mois après que l?homme a débarqué sur la Lune pour la première fois, une expédition lunaire ne provoque plus qu?un intérêt blasé. On sait que les ordinateurs l?ont réglée au dixième de seconde près. Le vol va se dérouler avec la précision monotone d?un horaire de chemin de fer? Il n?y a plus d?imprévu. Pourtant, dit un proverbe texan, «seuls les cinglés et les étrangers peuvent prédire le temps au Texas». «Allô ! Houston à Odyssée : quand vous aurez une minute, dit le chef des contrôleurs de vol, on voudrait vérifier le contenu de vos réservoirs cryométriques. ? Odyssée à Houston : d?accord? Quand vous voulez.» C?est un contrôle de routine : depuis lundi à deux heures cinquante-quatre, moment où fut effectuée une correction de trajectoire, tout risque semble exclu. L?équipage ne sait qu?inventer pour meubler ses émissions de télévision destinées à la Terre. Il vidange l?eau des accumulateurs, qui se transforme aussitôt en cristaux de glace, provoquant une tempête de neige autour de la cabine? Puis Lovell, le commandant de bord, pour amuser la galerie, tente de se coiffer. Mais ses cheveux, autour du peigne, se dressent sur sa tête. En ce moment, avec son camarade Haise, il filme de l?intérieur le module lunaire qui, le lendemain, doit les descendre sur la Lune. Swigert est resté aux commandes du vaisseau principal. Dans l?immense salle prévue pour quarante-cinq contrôleurs, il n?y en a plus que quinze : l?équipe minimum. Le patron du service est rentré chez lui. Pour l?heure, avec ses trois enfants, il fait un puzzle géant qui représente un village du Tyrol. C?est alors qu?une petite phrase de Swigert, prononcée d?un ton étrangement calme, déclenche l?aventure. Rappelons que le vaisseau cosmique Odyssée comporte trois parties : le module de service, le module de commande qui comprend la capsule grâce à laquelle les astronautes pourront revenir dans l?atmosphère terrestre, et enfin le module d?exploration qui doit se poser sur le sol lunaire : le fameux «Lem». Haise et Lovell viennent de faire une émission TV à partir du Lem. Lovell se glisse par un tunnel dans le module de commande, suivi de Haise qui doit fermer le panneau de communication. C?est alors que Lovell entend le «bang». Il y a toujours un claquement quand on rabat une écoutille. Mais il voit que Haise n?a pas bloqué la sienne. D?ailleurs ce bruit est trop fort. Il est provoqué par autre chose, mais quoi ? Swigert est resté dans le module de commande. Lovell vient s?asseoir près de lui et Haise est encore dans le tunnel. Au moment même où il a entendu une détonation qui a secoué tout le vaisseau, Swigert a vu une lumière d?alarme sur le système électrique. (à suivre...)