Résumé de la 9e partie ■ Somnolant sur leur monture, Maître Jean et le jeune garçon ont failli tomber au fond d'un précipice. Cela le mit dans une grande colère, bien qu'il n'eût aucun mal, et, sans tenir compte de l'endroit dangereux où nous nous trouvions, il chercha sa cravache pour m'administrer une de ces corrections qui n'étaient pas toujours anodines. J'avais tout mon sang-froid. Je ramassai la cravache avant lui, et, sans respect pour la pomme d'argent, je la jetai dans le ravin. Heureusement pour moi, maître Jean ne s'en aperçut pas. Ses idées se succédèrent trop rapidement. — Ah ! Bibi ne veut pas ! disait-il, et Bibi ne peut pas ! Bibi n'est pas une chèvre ! Eh bien, moi, je suis une gazelle ! Et, en parlant ainsi, il se prit à courir devant lui, se dirigeant vers le précipice. Malgré l'aversion qu'il m'inspirait dans ses accès de colère, je fus épouvanté et m'élançai sur ses traces. Mais, au bout d'un instant, je me tranquillisai. Il n'y avait point là de gazelle. Rien ne ressemblait moins à ce gracieux quadrupède que le professeur à ailes de pigeon dont la queue, ficelée d'un ruban noir, sautait d'une épaule à l'autre avec une rapidité convulsive lorsqu'il était ému. Son habit à longues basques, ses culottes de nankin et ses bottes molles le faisaient plutôt ressembler à un oiseau de nuit. Je le vis bientôt s'agiter au-dessus de moi ; il avait quitté le sentier à pic, il lui restait assez de raison pour ne pas songer à descendre ; il remontait en gesticulant vers la roche Sanadoire, et bien que le talus fût rapide, il n'était pas dangereux. Je pris Bibi par la bride et l'aidai à virer de bord, ce qui n'était pas facile. Puis je remontai avec lui le sentier pour regagner la route, je comptais y retrouver maître Jean, qui avait pris cette direction. Je ne l'y trouvai pas, et, laissant le fidèle Bibi sur sa bonne foi, je redescendis à pied, en droite ligne, jusqu'à la roche Sanadoire. La lune éclairait vivement. J'y voyais comme en plein jour. Je ne fus donc pas longtemps sans découvrir maître Jean assis sur un débris, les jambes pendantes et reprenant haleine. — Ah ! ah ! c'est toi, petit malheureux ! me dit-il. Qu'as-tu fait de mon pauvre cheval ? — Il est là, maître, il vous attend, répondis-je. — Quoi ! tu l'as sauvé ? Fort bien, mon garçon ! Mais comment as-tu fait pour te sauver toi-même ? Quelle effroyable chute, hein ? — Mais, monsieur le professeur, nous n'avons pas fait de chute ! — Pas de chute ? L'idiot ne s'en est pas aperçu ! Ce que c'est que le vin !... O vin ! vin de Chanturgue, vin de Chante-orgue... beau petit vin musical ! j'en boirais bien encore un verre ! Apporte, petit ! tiens ça, doux sacristain ! Frère, à ta santé ! A la santé des titans ! (A suivre...)