Instrument ■ Elle est la harpe des bardes algérois et l'âme de leur musique. La mandole chaâbie s'est imposée depuis quatre-vingts ans grâce aux artisans qui la perfectionnent et aux artistes qui en repoussent les limites. Apparenté à la mandore, ancêtre européenne de la mandoline au Moyen-Age, cet instrument apparu dans les années 1930 à Alger avant de gagner d'autres genres comme la musique kabyle, connaît un renouveau musical depuis les années 2000 avec des expériences proches du jazz. Outre les musiciens et chanteurs qui en ont fait un élément incontournable dans l'orchestration de musiques algériennes, la mandole témoigne d'un savoir-faire artisanal, porté par des luthiers d'Alger et d'autres régions. Son histoire est inséparable de celui qui l'a pensée en même temps qu'il créait le chaâbi. En 1935, El-Hadj M'hamed El-Anka dessine le plan de l'instrument et en confie la fabrication à Jean Bélido, professeur de musique et artisan luthier italien de Bab El-Oued. La genèse de l'invention de la mandole est rapportée par El Anka lui-même dans un entretien avec l'écrivain Kateb Yacine, vraisemblablement réalisé dans les années 1960. Pour Kamel Ferdjallah, professeur de musique et élève d'El-Anka, le «Cardinal» qui avait débuté sa carrière de chanteur après le décès de son maître Mustapha Nador, voulait d'un instrument dont «le son résonnerait, autant que sa propre voix, pour être entendu au-delà des maisons de la Casbah» où il animait des fêtes familiales. El-Anka eut, ainsi, l'idée, affirme-t-il, de dessiner un instrument plus grand que la demi-mandole (version agrandie de la mandoline) au son «trop aigu et peu amplifié», utilisée, jusqu'alors, dans les orchestres andalous. Au-delà de l'aspect purement musical, le Cheikh voulait «se démarquer» de l'orchestration de l'andalou, mais surtout «affirmer sa personnalité algérienne» à l'époque coloniale en s'accompagnant d'un instrument unique en son genre, estime M. Ferdjellah. Depuis, la mandole est devenue inséparable de l'image du maître du chaâbi, avant de gagner la musique kabyle, à l'instrumentation rudimentaire à l'origine, avec notamment Cheikh El-Hasnaoui et plus tard Maâtoub Lounes qui, lui aussi, s'est largement inspiré du chaâbi. Accordée selon la gamme tempérée des instruments occidentaux, la mandole verra alors l'introduction du quart de ton, par la division de certaines cases de son manche, pour permettre aux musiciens de mieux se rapprocher des mélodies kabyles traditionnelles. Ces modifications «légères» répondent davantage à des besoins «purement stylistiques» estime, de son côté, le musicologue Mohamed Mehannek. Fabriquée par Rachid Chafaâ pour le chanteur d'expression kabyle, Takfarinas, la mandole électrique à double manche reste la version la «plus spectaculaire». Malgré son aspect nouveau, cet instrument, de l'avis des spécialistes, n'a pas fait évoluer de façon significative ses spécificités musicales et organologiques. Le «Jazz Casbah» ou l'ouverture musicale Si son aspect n'a pas vraiment changé en quatre-vingts ans, la mandole connaît un renouveau depuis les années 2000 grâce à des musiciens comme Mohamed Abdennour, dit «P'tit Moh» et Mohamed Rouane. Ce dernier s'est illustré depuis son premier album en abordant autant de styles que le tindi (musique targuie), le flamenco et le jazz, avec des instrumentations inspirées du chaâbi, une fusion qu'il a baptisée «Jazz Casbah». En véritable ambassadeur de la mandole algérienne qu'il estime «peu connue dans le monde», Mohamed Rouane multiplie les tournées internationales en partageant la scène avec des musiciens de renom en Pologne, aux Pays-Bas et dans d'autres pays. Ce soliste qui parle volontiers de «l'extrême difficulté», d'improviser sur cet instrument en raison des frettes (cases sur le manche) et des cordes en métal, s'est lancé le défi de s'attaquer aux maqamate (modes de la musique arabe) pour son prochain album.