Avis ■ Force est de constater que bien qu'un texte littéraire soit fictif, qu'il soit le fruit de l'imagination fertile et dynamique de l'écrivain, il y a cependant une part de l'Histoire qui s'y incruste. Même si la littérature est aux prises avec l'Histoire, même si elle est le miroir de cette dernière, son reflet mais fragmenté, puisque la littérature ne reflète que d'une certaine manière le vécu historique, il n'en demeure pas moins que, selon le romancier Djamel Mati, «le roman obéit plus à l'imaginaire qu'à la réalité...sans jamais s'éloigner de la vérité». Pour Djamel Mati, pour qui un écrivain reste toujours en relation lorsqu'il compose son imaginaire romanesque, «l'écrivain se nourrit surtout du vécu des autres (le sien ne lui suffira jamais) et de son imaginaire, c'est ce qui élargit son champ de prospections et lui fait découvrir de nouvelles parcelles arables qui ne demandent qu'à être fertilisées». Il explique que «cette distanciation par rapport à «l'autre» lui procure une sorte de détachement pour l'œuvre et lui permet plus de liberté d'agir selon son bon-vouloir sur l'histoire qu'il est en train d'inventer». C'est ainsi que «sa relation avec le vécu est forcément étroite. C'est un rapport empli de doute et d'interrogations, c'est ce qui rend l'écrivain curieux, car chaque question entraîne une nouvelle série d'interrogations». Autrement dit, «la société en tant que communauté d'êtres humains et les considérations environnementales ont, de tout temps, influencé l'écriture romanesque, c'est cela qui fait de l'écrivain une personne engagée et scrutatrice». Force est de constater que bien qu'un texte littéraire soit fictif, qu'il soit le fruit de l'imagination fertile et dynamique de l'écrivain, il y a cependant une part de l'Histoire qui s'y incruste. D'où la question : pourquoi s'impose-t-elle à l'écrivain ? Et de quelle manière s'impose-t-elle ? «Nous avons tous une mémoire et il existe aussi la mémoire collective, et personne de sensé ne peut se permettre de faire la sourde oreille. Elles s'incrustent partout y compris dans la littérature. La relation qui existe entre l'écrivain et le monde d'hier réclame souvent sa part de l'histoire dans le texte. Ces éclats du passé s'imposent instinctivement dans les écrits sous la forme de souvenirs, de témoignages ou de plaies non encore cicatrisées puisque nous demeurons tous, y compris l'écrivain, liés à des racines anciennes. Le passé sert souvent de fortification pour expliquer les situations présentes et parfois celles du futur..., une manière de juger ou d'exorciser l'histoire», répond-il. Djamel Mati estime, par ailleurs, que «depuis toujours, le roman se définit comme une œuvre littéraire s'associant avec l'omniprésence de l'imagination. Il ne se doit pas d'obéir à d'autres règles que celles imposées par l'auteur. Cela lui laisse un large champ d'ouverture. La fiction, cette croyance erronée, mais séduisante pour l'esprit, doit être réaliste, mais pas réelle. Alors que l'Histoire ne peut être qu'objective. Elle demeure intangible et non négociable. Sa réalité plaît ou déplaît. C'est tout le problème qu'elle pose lorsqu'elle s'invite dans le texte littéraire. Toutefois, une fiction peut-elle être vraie ? A mon avis, la dissimilitude entre la réalité et la fiction doit être dépassée. Les deux concepts sont tenus à coexister dans le roman, ainsi la littérature érigera sa propre vérité où la réalité ne sera qu'embellissement ou enlaidissement». Djamel Mati est un romancier ancré dans son contexte socio-historique, donc dans la réalité. L'ancrage est si fort qu'il ne peut s'en défaire. Car, pour lui, «la confrontation avec le vécu est inévitable», et d'abonder : «Toute la problématique est de savoir sous quel angle il faut l'aborder dans l'écriture. Bien évidemment. Je ne peux déroger à la règle. La plupart du temps, je me nourris du vécu (le mien et/ou celui des d'autres). Toutefois, je considère que le vécu et les sensations qu'il charrie avec lui sont indissociables. Dans mes écrits, je préfère utiliser donc les sensations pour raconter le vécu.» S'exprimant sur son expérience d'écrivain, celle qui est en rapport avec l'Histoire, il raconte : «Dans la plupart de mes romans, il existe inéluctablement des ancrages en rapport avec l'Histoire. Pour le dernier en date, L.S.D., tout le roman est consacré à l'histoire de l'humanité depuis les origines jusqu'à l'horizon 2050. L'écriture de ce roman a été pour moi une expérience très enrichissante, car j'ai voulu relater cette odyssée en tenant compte de l'empathie, l'égoïsme, l'humilité et la rapacité de l'humain. Les faits racontés qui ont marqué l'évolution de l'Homme ne font que confirmer les différents bouleversements qui se sont succédé dans le temps. Sibirkafi et Aigre-doux retracent d'une manière parodique et allégorique l'histoire récente de l'Algérie. Pour L.S.D. et les autres romans, ce sont les émotions (bonnes ou mauvaises) de l'époque décrite qui m'ont guidé dans mon écriture.» A la question de savoir si l'on peut écrire l'histoire d'une société par l'entremise de la littérature, Djamel Mati répond : «Aborder l'Histoire par la voie littéraire en respectant la sensibilité de chacun n'est peut-être pas le meilleur moyen de la raconter. Ce choix reste celui du romancier. Lui seul décide quelle porte de l'Histoire ouvrir ou fermer. En général, l'écriture romanesque ne tient pas compte de la réalité objective, mais plutôt de sentiments subjectifs qui s'en dégagent. Elle est donc par essence libre, évanescente. Grâce aux prismes déformants et aux miroitements des mots, un romancier s'arroge le droit de raconter l'Histoire sans pour autant utiliser les canevas classiques des historiens, quand bien même y trouve-t-on des traces d'objectivité dans la forme. Reste aux lecteurs de déceler les dessous du parti pris de l'écrivain.»