«Je te reconnais au tranchant de ton glaive redoutable; je te reconnais à ce regard rapide dont tu mesures la terre ; sortie des ossements sacrés des Hellènes et forte de ton antique énergie, je te salue ô liberté, ô liberté, ô liberté.» Tout est dans l?hymne national de cette Grèce dont personne n?a soupçonné qu?elle passerait le premier tour alors qu?elle se présentait sur les terres portugaises, jadis conquises par Ulysse et ses hommes, sans avoir gagné le moindre match en phase finale. Les Grecs, on les a découverts au tranchant de leur tactique défensive redoutable. Forte de son énergie, la Grèce a coupé la tête et les jambes des grandes nations, les plus favorites. La Grèce a enfin libéré le football de son odeur galactique, de ses stars empaquetées, de son puissant G14, de ses nations dont les championnats sont les grands, les plus chers au monde. Dorénavant, il faudra s?habituer aux Zagorakis, capitaine et âme de cette équipe, élu meilleur joueur de l?Euro, de Charisteas, le buteur-tueur, de l?impitoyable défenseur Dellas, de Nikopolidis, le gardien, la force tranquille, la tête de George Clooney. Des noms sortis de l?ombre, des hommes dont l?humilité et la conviction ont vaincu toutes les fausses certitudes. Gagner une compétition aussi relevée que l?Euro en passant 60% de son temps dans son propre camp, il faut le faire. La consécration des Grecs mettra certainement au travail tous les spécialistes et les techniciens pour trouver les secrets de ce schéma fondé sur le marquage individuel, la réduction d?espaces et une adaptation constante au jeu. Une évolution atypique qui a dérouté plus d?un maître à penser. N?est-ce pas Scolari, Brückner, Santini et Saez ? Tous ces messieurs ne sont pas des arrivistes, notamment Scolari dont la sélection a été avertie d?entrée lors du match inaugural. Mais ce n?est pas la leçon qui n?a pas été apprise, c?est la solution qui n?a pas été trouvée. Onze dieux grecs ont vaincu l?Europe de cet Euro-2004. C?est également la revanche d?un entraîneur, Otto Rehhagel, évincé par le kaiser Beckenbauer, alors que le Bayern était leader de la Bundesliga en 1996. Le dieu Otto a réussi à formater ses joueurs en fonction de ses convictions : la rigueur, la discipline, le sens tactique. Même si le schéma est ancien, qui rappelle la bonne tradition allemande, il est relooké au goût du jour, faisant évoluer l?équipe au maximum de ses possibilités et de ses qualités. Rehhagel a, n?ayons pas peur des mots, révolutionné le foot et a trempé le mental d?une équipe, souvent désinvolte et moins sûre d?elle, dans de l?acier. Les Grecs n?ont pas frémi. Ils ne se sont pas dégonflés, même en finale. Car cette coupe, ils voulaient l?avoir et ils l?ont eue. Onze dieux du foot moderne, et non pas sortis de l?Antiquité, ont mis l?Europe à leurs genoux.