Rappel Jusqu'aux premières décennies du XXe siècle, on trouvait encore des lions en Algérie? Le lion, roi de la forêt, n'est pas un hôte aussi éloigné qu'on le croit de nos contrées. En tout cas, Tartarin de Tarascon n?a pas tué, à la fin du XIXe siècle, comme le soutient Alphonse Daudet, le dernier lion algérien ! Dans les premières décennies du XXe siècle, on pouvait encore voir se promener dans les rues d'Oran, des lions tenus en laisse par des hommes qui se disaient adeptes de Sidi Ahmed Benaouda, l'un des saints patrons de l'Oranie. Le nom de ce saint est d'ailleurs si intimement lié au félin qu'on donnait à celui-ci le surnom de sba'a Ben'ouda (le lion de Benaouda), à moins que ce ne soit le lion qui ait donné son nom au saint, réputé être un dompteur de lions ! Les maîtres du lion disaient ramener les bêtes de la montagne, sans préciser laquelle. Certains, aimant cultiver le mystère, affirmaient que c'étaient les bêtes qui venaient à eux. «Je dormais, racontait l'un d'eux, quand j'ai entendu gratter à ma porte ; je me suis levé et j'ai collé l'oreille au bois. ?Qui est là ?? ai-je demandé. J'ai reçu un grognement pour toute réponse. J'ai reculé, pressentant quelque bête fantastique. Et pour tout l'or du monde, je n'aurais pas ouvert ! C'est alors que j'ai entendu une voix me dire : ?Ouvre donc la porte à Sidi Ben'ouda !? J'avais, bien sûr, entendu parler du saint et je le vénérais. Je savais aussi qu'il prenait la forme du lion pour se manifester. J'ai donc ouvert la porte et je me suis retrouvé nez à nez avec un énorme lion. Ma première réaction a été de reculer, mais la bête est venue vers moi et, docilement, m'a léché la main, comme un petit chien. Depuis, je la promène dans les rues. Elle m'aide à gagner ma vie !» Les dompteurs de lions gagnaient en effet leur vie en exhibant les animaux. Le spectacle d'un fauve, enchaîné ou traîné au bout d'une corde, était si extraordinaire qu'on venait le voir de partout. «Sba'â ! Sba'â !» criait-on. Le dompteur tirait sur la corde, obligeant le fauve à montrer ses crocs et à rugir. On frissonnait aussi de peur et de? plaisir ! Certains dompteurs se croyaient suffisamment maîtres de leur bête et laissaient les gens approcher : on caressait les fauves, on leur donnait à manger, on les taquinait aussi en les tirant par la queue.«Hou ! Hou ! le lion ! attaque ! attaque !» La bête n'attaquait pas... Les dompteurs se rendaient également à Alger où ils se produisaient avec autant de succès. Ils allaient sur la place du Gouvernement, l?actuelle place des Martyrs, et donnaient leur spectacle. «Qui veut approcher du lion ?» Les gens ont, bien sûr, peur. Le dompteur les encourage : «Allez, venez ! Venez ! Un douro pour qui approche !» Il fait scintiller la pièce de cinq francs, mais personne n'ose approcher ! «Je vous dis que vous ne risquez rien !» Un jour, pourtant, d'un coup de griffe puissant, un fauve arracha le visage d'un homme qui s'était trop approché. Les autorités d'alors prirent prétexte de cet incident pour interdire les exhibitions de lions à Alger, puis dans les autres villes. (à suivre...)