C'est connu, depuis longtemps, les langues ont un usage symbolique des noms de lieu et de pays. Les rapports historiques ou culturels avec ces pays, mais aussi les représentations qu'on en fait, déterminent leur usage dans la langue. Pour les Algériens musulmans, La Mecque représente ce que Rome représente pour les chrétiens. Ici, on ne dit pas : «Tous les chemins mènent à La Mecque», mais on prête serment sur la ville sainte : «haqq Mecca !» et surtout la Kaâba, le sanctuaire des sanctuaires, où se trouve la vénérable pierre noire qui vient, dit-on, du Paradis. «Haqq Al-Kaâba», les Kabyles pieux ajoutent, haqq Kaâba Chrifa, «par la noble Kaâba». Ils évoquent aussi le grillage qui recouvre la pierre noire) : haqq achebak Rabbi ! Parfois, on réunit les lieux saints par la formule : Haqq bit rabbi ! (en kabyle : ahqq akhkham Rabbi) «par la Demeure de Dieu !». Curieusement, les deux autres lieux saints de l'islam, Médine et Jérusalem (Al-Qods), ne sont pas pris comme objets de serment. Citons, dans le langage des jeunes, un emploi «profane», voire iconoclaste, du mot Kaâba : niais, peu intelligent, pas débrouillard pour un sou, sans ambition et bien d'autres qualificatifs peu flatteurs : yakhi kaâba ! «quel idiot !», enta kaâba, «Tu es un demeuré», etc. Ici, c'est sans doute l'image d'un édifice à la fois massif et immobile qui a inspiré ce sens ! Des lieux saints, il en existe aussi en Algérie, mais ici on préfère évoquer les saints qui les «habitent»? haqq Sidi Abderrahmane, «par Sidi Abderrahmane, patron de la ville d'Alger» ; haqq Sidi Benyoucef «par Sidi Benyoucef, patron de la ville de Miliana», haqq Sidi Boumediene, «par Sidi Boumediene, patron de la ville de Tlemcen», etc. Les serments par les villes sont rares, mais ils existent. Ainsi dans la vaIlée de la Soummam, on prête serment par la ville de Sidi-Aïch, sacralisée, sans doute, par le fleuve qui la traverse.