Apprentissage Menacé de disparition, le camp Orlionok, fierté des pionniers de l'URSS, propose des stages payants pour apprendre aux enfants les vraies valeurs russes. Camp de vacances mythique de l'époque soviétique, quand il fallait être un pionnier ou komsomol très méritant pour y accéder, Orlionok (Aiglon) a survécu aux bouleversements de la fin du communisme et connaît aujourd'hui un second souffle : celui de l'éducation patriotique. «Au début des années 1990, Orlionok a bien failli disparaître, découpé et vendu en petits morceaux», raconte Alexandre Djéous, le directeur, qui règne sur un empire de sept camps à thématiques différentes (outre l'armée, la mer, la santé, les arts, les droits et devoirs du citoyen...) qui compte un total de 2 500 places. «Mais l'équipe a tenu bon, jusqu'à ce que l'Etat fédéral se ressaisisse et lance, en 1996, un nouveau programme de développement des camps d'enfants. Cette année, nous sommes plus que complets. Je dois débrancher le téléphone pour échapper aux parents qui tiennent absolument à nous envoyer leurs enfants.» Les familles qui, à l'époque soviétique, ne pouvaient le plus souvent que rêver d'Orlionok, réservé à l'élite des organisations communistes de jeunesse (ou à ceux qui avaient les meilleurs pistons) n'ont plus aujourd'hui qu'à payer pour envoyer leurs enfants dans cette colo du bon patriote russe. L'été, la majorité des «aiglons» sont maintenant des hôtes payants qui versent 17 000 roubles (480 euros, soit deux fois le salaire moyen russe) pour le séjour standard de trois semaines. Hors saison, le camp est rempli par l'Etat, qui finance chaque année le séjour de 14 600 enfants de toutes les régions du pays, généralement sélectionnés par concours et ainsi encouragés à devenir les «leaders russes du XXIe siècle». «En premier lieu, les enfants viennent ici pour se reposer, assure le directeur. Mais tout en les distrayant, nous leur enseignons aussi le respect des autres, la tolérance, l'amour de la patrie ou l'écologie. Beaucoup d'enfants ne connaissent même pas l'hymne de la Russie lorsqu'ils arrivent ! Dès le troisième jour, ils l'apprennent tous. Pour nous, l'hymne, le drapeau, c'est sacré. Il est très important de leur enseigner l'amour de la patrie.» Au cou des enfants et des animateurs, les foulards rouges que portaient jadis les pionniers ont été remplacés par les blanc-bleu-rouge, couleurs de la Russie. L'idéologie transmise «tout en s'amusant» n'est plus le marxisme-léninisme mais le patriotisme russe et l'hygiène de vie, viatique de rechange que Vladimir Poutine propose aujourd'hui à la Russie. Le portrait du président, enveloppé dans le foulard Orlionok, orne bien sûr le bureau du directeur, qui confie : si Poutine leur a fait l'honneur d'une visite, l'an dernier, c'est bien «parce qu'il mise sur notre camp». «Il est bon que les enfants apprennent à faire face à toute situation qui peut se présenter», explique Svetlana Sevastianova, 28 ans, responsable en chef du camp spécialisé dans la formation militaire. Ce matin, après la traque aux espions et avant la plage, les enfants s'entraînent à monter et à démonter des kalachnikovs, encadrés par un détachement de gardes-frontière basés dans les environs. Ravis, les gamins se bousculent pour jouer avec ces mêmes armes qui, à 500 kilomètres de là, servent à poursuivre la guerre en Tchétchénie. «La Russie ne fait pas la guerre en Tchétchénie», corrige gentiment Svetlana, reprenant mot pour mot, dans un sourire, les mensonges de la propagande poutinienne. «Nous essayons simplement de remettre l'ordre là-bas», dira Larissa, porte-parole du camp.