Images Les plages de l?Oranie ont le naturel des bars. Elles ont leurs habitués. Leurs cloches aussi. On se saoule de soleil, on se grise d?eau salée, une petite tournée au milieu des rochers, une autre pour la route et tout le monde s?en va. Direction Terga. Mais dans cette forêt de chemins départementaux et de maquis de cabanons, qui longe le littoral, Terga, c?est où à partir d?Oran ? Vous prenez la direction de Tlemcen, vous vous tamponnez la paupière du guide Michelin. Au passage et avant d?attaquer l?autoroute, empruntez le quartier d?Eckmühl, et là, n?oubliez pas de jeter un coup d??il à votre gauche à ce qui fut le temple de la tauromachie : les arènes d?Oran. Pour la petite histoire, les riverains l?appellent tout simplement «Ettoro» Après Misserghin et ses jardins de clémentines, Boutlelis, El-Amria que les colons avaient baptisé du nom de Lourmel, voici que s?ouvre devant vous l?un des plus typiques villages alsaciens du pays : El-Malah. On dit qu?un oued, par une étrange contradiction de la nature, charriait une eau si salée que les vignerons européens l?affublèrent à l?époque du nom de Rio Salado. «Olé» ! Une route sinueuse fraîchement bitumée contourne le village et descend droit vers la mer. La vigne, ici, a, depuis longtemps, disparu du paysage pour laisser place à des champs de pastèques et de melons à perte de vue. Et puis, brusquement, au détour d?un virage, changement de décor : une carrière, une forêt parsemée de clairières où des familles pique-niquent à l?ombre des feuillages, un oued en plein étiage et, comme sur un plateau de cinéma, la plage sans crier gare, en plein cigare? C?est à prendre ou à laisser ! Il est à peine neuf heures et les premiers estivants commencent à arriver avec leurs sacs, leurs marmots, leurs parasols et leurs provisions de bouche. Ils viennent des villages et douars environnants ; certains ont carrément dressé leur tente de camping. Pas de chichis sur cette plage rurale : ni maillots sexy, ni ambre solaire, ni crème machin ou lait adoucissant chouette. Pas de marchands de beignets non plus, ni de marchands de m?hadjeb, pas de vendeurs de cigarettes, rien de tout cela, et c?est peut-être tant mieux. Quant aux prix pratiqués par les plagistes, ils défient toute concurrence compte tenu du maigre pouvoir d?achat des paysans : 250 DA pour un parasol, une table et quatre chaises jamais assorties et 200 DA pour une demi-heure de pédalo. Et c?est un luxe pour les pères de famille. Contrairement aux maîtres nageurs des plages 5 étoiles, telles que les Andalouses, qui passent le plus clair de leur temps à bomber le torse dans des poses avantageuses, ceux de Terga font convenablement leur travail, sérieusement, l??il aux aguets, perpétuellement sur le qui-vive. La drague, c?est après le travail. Et le zodiac des sapeurs-pompiers dans cette naïve campagne, ne sert pas à trimbaler au large des petites jeunes filles sous le fallacieux prétexte que la mer est calme. Il fait la ronde. C?est finalement dans cette Algérie profonde que l'on recadre nos repères et que l?on se remet en harmonie avec soi-même. Mais il ne faut pas croire que Terga est une plage pour ploucs et bouseux ; ce serait une erreur. Les enfants barbotent comme des canards, les adultes s?amusent comme des enfants et les pépés se contentent de se faire lécher les orteils par l?eau fraîche des vagues avec presque un léger mal de mer. Le dos voûté, ratatinées par les ans, de vieilles grands-mères, tenues par les solides mains de leurs brus, le pas encore hésitant, affrontent courageusement les flots de la berge sous le regard attendri de leur progéniture. Alors que le soleil est au zénith, la plupart des baigneurs se regroupent en grappes sous leur parasol pour casser la graine. A la bonne franquette ! Ni poire, ni fromage, ni passez-moi le sel. La recette est : tout ce qui entre fait ventre? et ça marche ! Attention, chaud devant ! Le fanion est toujours au vert malgré un début de houle et un chergui que personne n?a invité. Qu?importe. Tout le monde fait la fête. Sous l?eau, dans l?eau, sur l?eau... On s?enfarine de sable pour griller comme une sardine dans sa poêle. Plus loin, sur la côte extrême que surplombe un immense rocher, des jeunes aux corps virils jouent au comte de Monte-Cristo en se jetant de 15 m d?altitude. Dans un moment, ce sera carrément la chaîne pour se balancer dans le vide. Et on ne s?en prive pas. Des enfants, qui connaissent le terrain sur le bout des doigts, préfèrent fouiller entre les rochers et pêcher? des moules à la cuillère. Seul un jet-ski enragé, sorti d?on ne sait où, trouble la sérénité d?une crique où vivre se conjugue simplement.