Réalité Ce phénomène n?est pas un vain mot dans cette ville ni une simple vue de l?esprit. Des statistiques édifiantes l?attestent. Les responsables du service des urgences chirurgicales du CHU Ben-Badis le confirment : la violence n?est plus l?apanage des quartiers défavorisés. Elle s?est généralisée à tous les secteurs, même les plus huppés de la ville. Chaque année, le service en question, qui constitue le réceptacle et même le symbole de la violence, recense quelque 1 200 cas d?agressions perpétrées au moyen d?armes blanches, d?objets contondants ou par balles. Pour le premier semestre 2004, 112 hospitalisations ont dû être ordonnées. «Ne vous fiez pas à ce chiffre, tient-on à nous préciser, il ne concerne que les cas les plus graves. Pour avoir une idée plus nette du phénomène, vous devez le multiplier par 5.» Donc, plus de 550 cas, dont un cinquième environ a nécessité soit une hospitalisation pour suivi, soit des gestes médicaux lourds (drainage, par exemple). Ceci sans prendre en compte les victimes décédées sur le champ et donc n?ayant pas été répertoriées par le service des urgences. «Vendredi en quinze, nous avons eu à traiter une trentaine de victimes d?agressions, en majorité des jeunes ou même des adultes et des femmes. Il y a eu aussi des mutilations volontaires et des tentatives de suicide.» Et les moyens employés à ces fins sont parfois peu orthodoxes. On nous montrera, dans la salle des admissions, un homme d?une trentaine d?années, alité, qui avait tenté de mettre fin à ses jours en se plantant des gros clous dans l?abdomen. Dans une salle mitoyenne, un autre jeune aurait tenté de se trancher la gorge en se servant d?un rasoir à manche. Parallèlement et paradoxalement de nombreuses agressions ont lieu au sein même du service, visant le personnel hospitalier. Infirmiers, surveillants, médecins en ont fait les frais, de la part des victimes elles-mêmes ou de leurs proches. En dépit de leur nombre, les agents de sécurité de l?hôpital seraient littéralement débordés par une affluence sans cesse croissante de malades. «Même les agents en faction au niveau du poste de police ont été agressés», nous dit-on. Dans le même ordre d?idées, nous apprenons, chiffres à l?appui, que la majorité des blessés transportés vers le service des urgences provient des wilayas limitrophes : Mila, Skikda, Oum El-Bouaghi, Guelma ou Jijel. Et ce, pour des motifs divers, dont les plus avouables seraient le manque de spécialistes, de moyens orthopédiques ou autres. «En réalité, nous confie un médecin urgentiste, les hôpitaux, qui transfèrent leurs blessés vers Constantine, visent essentiellement à économiser leur budget. Un geste chirurgical coûte parfois plus de 10 millions de centimes, un scanner environ 5 000 DA.» Dans un climat d?insécurité, les scènes de violence sont telles qu?un surveillant nous dira : «Nous vivons l?enfer au quotidien.» Le service des urgences chirurgicales du CHU Ben-Badis de Constantine tente, tant bien que mal, de mener à bien sa mission. «L?insécurité ambiante est telle que nous reléguons au second plan les autres problèmes logistiques que nous devons affronter, tels le manque de fil de suture, le scanner en panne depuis plusieurs mois, et autres», nous dira un médecin du service. Et la violence telle une fatalité, continue.