Echéance Ramadan arrive et déjà se profilent les dépenses exceptionnelles qui ne manquent jamais d?accompagner ce mois de piété et de communion. Dans la région de Souk-Ahras, cette période de l?année pour pieuse qu?elle soit se prépare comme on se préparerait pour un événement heureux, une fête. Outre les dispositions d?ordre domestique, qui retiennent toute l?attention des maîtresses de maison, comme la grande lessive, le ménage en grand (nettoyage des murs et des sols et éventuellement le rafraîchissement des peintures), on s?y prend des semaines à l?avance pour faire des réserves de provisions. Les ménagères doivent avoir tout à portée de la main pour améliorer, le moment venu, l?ordinaire de la maisonnée, depuis l?entrée jusqu?au dessert. En femmes averties, elles savent pertinemment que leur époux, leurs enfants deviennent très exigeants question nourriture en ces moments de privation (!) et elles ne devront en aucun cas se rendre coupables de la moindre défaillance dans la confection des plats qui leur seront (certainement) demandés. Elles commencent dès lors à stocker les épices de toutes sortes que les marchands exposent déjà en quantité, cela en plus des boîtes de conserves de tomate, de bouteilles d?huile, de semoule et autres farine ; la tradition ici étant de rompre le jeûne avec un bol de chorba frik, on n?achètera jamais cette céréale dans le commerce. Le frik a, semble-t-il, meilleur goût quand on le fabrique soi-même. Acquis au prix fort chez les agriculteurs ou auprès de négociants, le blé vert, qui en est la base, subit un traitement spécifique avant de se retrouver prêt à l?usage dans un bocal de cuisine. L?opération peut prendre plusieurs jours puisqu?il faut sélectionner les grains, les saler et les sécher après les avoir lavés. Ce travail minutieux est généralement confié aux plus âgées, qui, elles, se feront un plaisir d?y mettre tout leur savoir-faire et trouveront par la même occasion de faire leur laïus sur les méfaits de l'alimentation d?aujourd?hui sur la santé? Le riz, qui servira à préparer le m?halbi, cet entremets délicieux que l?on sert durant les veillées avec le thé, est également au centre des préoccupations à Souk-Ahras. Là encore, on rejettera d?office le produit manufacturé pour lui substituer une fabrication maison à cause du goût. Le m?halbi que l?on peut comparer à une crème renversée, ne peut se concevoir avec de la maïzena, la fleur de maïs étant trop consistante, alors on apprêtera le riz long, qu?on moudra finement avant de le mettre en sachets en attendant le ramadan. Tous les ingrédients et tous les condiments ne suffisent pas à eux seuls pour se dire parés pour le mois en question. Il faut penser aussi et surtout à la viande. Si pour certains l?australian meat peut être l?ersatz que ne manquera pas de proposer à des prix exorbitants le boucher du coin, les chefs de familles dans cette ville auront recours à la bonne vieille tradition de la nefka. Ceux-ci s?associeront à deux, voire à trois ou quatre, selon la taille et le poids de la bête, pour acheter un mouton sur pied qui sera égorgé et dépecé en parts égales à la veille du premier jour de jeûne. La nefka peut être renouvelée si nécessaire tout au long du mois, mais ce n?est pas si évident devant les prix qu?affichent les maquignons. Tout ceci nous amène à la question essentielle : comment faire face à toutes ces dépenses, à Souk-Ahras ou ailleurs, surtout que ce mois de piété et de communion coïncidera, cette année, avec la rentrée des classes ?