Réflexion ■ Les planches se sont toujours investies en une tribune pour la parole «politique», légitimant le texte «engagé» à travers les siècles. Ainsi, le théâtre est perçu en tant que discours militant et de lutte. De tout temps, l'esprit même du théâtre par le texte et le jeu des comédiens agissent sur les problèmes de la société. Soit par la dérision, des écrits relevant du registre comique, soit par le langage classique traitant des grands bouleversements et périodes historiques depuis l'Antiquité. Soit encore, et cela plus près de nous, par le discours engagé et des textes aptes à éveiller la conscience des peuples. Aussi, les planches se sont toujours investies en une tribune pour la parole «politique», légitimant le texte «engagé» à travers les siècles. Concernant le théâtre algérien et les générations de comédiens qui l'ont nourri, au contraire de la poésie orale, laquelle s'est tracée sa voie résistante dans la société algérienne depuis 1830, le théâtre, lui, s'est timidement impliqué prudemment et de façon dérobée dans le combat contre le colonialisme. C'est au cours de la guerre de libération qu'il a posé ses premiers jalons de théâtre national, mettant en relief les souffrances du peuple algérien et ses espoirs. Mohamed Boudia et Mustapha Kateb ont été, entre autres, les fondateurs de la Troupe du FLN. Une formation qui a porté, à travers de nombreuses capitales, la lutte du peuple algérien. Une expression artistique destinée à faire entendre la voix d'une Algérie opprimée «élément fondamental dans le discours anticolonial», selon Ahmed Cheniki, critique d'art dramatique. Ceci, pour la première phase du théâtre algérien dit de combat en cette moitié du XXe siècle. Makhlouf Boukrouh, universitaire, auteur de plusieurs ouvrages sur le théâtre et directeur général du TNA, signifie le rôle prépondérant de cet art d'expression militante pour l'indépendance de l'Algérie, comme étant «la meilleure tribune pour exprimer la liberté et la démocratie». Dans les années 60, le théâtre algérien, dans son effervescence de liberté, s'est orienté vers les valeurs socialistes et celles dites d'édification nationale pour ne pas dire «de propagande ». Les années 70 se démarqueront par un discours plus réaliste, de gauche, empreint d'idéaux politiques pour la liberté des peuples opprimés (Palestine, Vietnam, Cuba, Afrique du Sud, Mozambique). Cependant, le cycle gauchisant n'est pas sourd à la réalité sociopolitique de la scène nationale. Il engen-drera nombre de pièces porteuses d'attentes. La période a été également le terrain privilégié de l'épanouissement du théâtre amateur si cher à Kateb Yacine, prônant l'arabe dialectal, la langue de Monsieur Tout-le-Monde. Les années 80 ont laissé place à des écrits plus directs et des questionnements sur les doutes et incertitudes d'une société emportée par le flux des changements. Babour ghraq, de Ben Aïssa, Galou larab, de Cherif Ayad, Le voleur d'autobus, de Medjoubi, Hokm Salim, de Alloula, El mahgour, de Bouguermouh, le registre est riche par ce foisonnement de pièces qu'attendait un public réceptif. Un théâtre à l'impact offensif, attirant une assistance critique plus que nombreuse, présente pour entendre une parole libérée du carcan de la censure en matière artistique. Les années 90 viendront entraver toute vie culturelle, pendant que la première embellie d'un théâtre attentif à une nouvelle parole militante venait de s'assombrir. Quant à l'analyse de Makhlouf Boukrouh sur le théâtre politique, comme étant plus une orientation idéologique qu'un genre artistique, cela reste sujet à débat. Pour de nombreux dramaturges, en l'occurrence Brecht, le théâtre est politique. Toutefois, Makhlouf Boukrouh estime qu'«un discours politique ardu fera perdre au théâtre, toute sa passion et sa particularité d'être un art à part entière». Il précise, en outre, que «le théâtre possède son propre discours et il est relativement indépendant de la politique». Celui-ci estime qu'il faut dissocier l'aspect politique de l'aspect artistique au théâtre et qu'il vaut mieux aller du théâtre à la politique et non pas le contraire. «Nous pouvons traiter des sujets politiques tout en nous reposant sur un aspect esthétique innovant», soutient-il.