Le retour ■ Comment pouvait-il être aussi mélancolique alors qu'il avait tenu à faire de ce jour-là une journée de fête et de joie ? Toute sa jeunesse, Achour l'avait passée à trimer dans une usine dans le Nord de la France et à son retour, comme tout émigré qui revient au bercail, il avait ramené pour une fortune de meubles et d'appareils-électroménagers, sans compter bien sûr l'inévitable Peugeot. Cette année-là, c'était la 405 break qui était à la mode. A 60 ans, il se tenait encore debout et pouvait terrasser un taureau rien qu'en s'appuyant sur lui. C'était un homme pour qui la retraite, paradoxalement, ouvrait d'autres horizons, d'autres espoirs. Son idée était très simple : construire une très grande maison avec cinq ou six locaux commerciaux. Il louerait quelques-uns et créerait une affaire dans l'un d'entre eux. Il ne lui restait qu'à trouver un bon terrain à Tizi Ouzou ville. Quelqu'un lui avait dit que pour celui qui possédait des devises, trouver un bon terrain ne devrait pas poser de problèmes. En attendant, Achour organisa une gigantesque timechrat dans son village natal pour fêter son retour parmi les siens. Et un retour avec des poches bien pleines. Ce qui n'était pas souvent le cas. Alors que tout le monde festoyait en plaisantant et en riant, Achour se contenta d'avaler deux cuillerées de couscous et se leva, l'air pensif. L'un de ses cinq fils, qui mangeait dans le même grand plat que lui, leva la tête et le suivit du regard. Jamais son père ne s'était comporté ainsi. Il avait toujours le visage rieur et goguenard. Même le jour où il avait été opéré pour son ulcère, il n'avait cessé de plaisanter avec les infirmières et les médecins. Il leur avait demandé notamment de rallonger son estomac de quelques centimètres pour qu'il puisse avaler beaucoup de couscous aux fèves lorsqu'il retournerait au pays ! Assurément, quelque chose n'allait pas. Comment pouvait-il être aussi mélancolique alors qu'il avait tenu à faire de ce vendredi une journée de fête et de joie ? (A suivre...)