Périple n «Ca y est, on est en Autriche?» Sales, épuisés mais joyeux, 400 hommes, femmes et enfants, souvent venus de pays en guerre, ont enfin pu quitter la Hongrie peu accueillante, traversant la frontière à pied, sous la pluie, de nuit. La nouvelle est tombée hier soir : l'Autriche et l'Allemagne, au vu de la «situation d'urgence», acceptent de recevoir les milliers de migrants échoués en Hongrie. La situation devenait inte-nable pour les autorités hongroises débordées : plus de 50 000 migrants sont arrivés pour le seul mois d'août dernier en Hongrie. Une centaine de bus ont donc été mobilisés pour acheminer les infortunés vers l'Autriche et, pour certains, ensuite l'Allemagne, espoir d'un avenir meilleur. Dans la soirée, la gare de Budapest-Keleti a résonné d'une déclaration en arabe, hurlée au mégaphone : «Le gouvernement hongrois met à votre disposition des cars gratuits pour vous emmener à la dernière ville avant la frontière autrichienne.» Remue-ménage dans la «zone de transit», labyrinthe sale et chaotique d'abris de fortune installé dans le hall de la gare, foyer de milliers de migrants et de réfugiés de Syrie, d'Afghanistan, du Pakistan, d'Irak et d'une cinquantaine d'autres pays. Certains y ont passé des jours, d'autres des semaines. «Prenez toute votre nourriture et votre eau, il n'y aura rien dans les bus», dit l'homme au mégaphone. Mohammed, 26 ans, vient de Damas, en Syrie, dévastée par quatre ans de guerre civile. «Je n'ai pas confiance», lâche-t-il à propos des autorités hongroises. «J'avais mis tout mon argent dans un billet de train pour Munich (Allemagne) la semaine dernière, quand la police a dit que je pouvais y aller. Mais je l'ai déchiré, par colère, lorsqu'ils m'ont empêché d'accéder au train». Il se dépêche néanmoins de rassembler ses maigres possessions -un petit sac à dos, deux tee-shirts, un livre, une paire de baskets de rechange et son téléphone. «Je n'ai rien pu garder de propre ici. Lorsque j'allais dans un magasin, je voyais dans leurs yeux qu'ils pensaient que je n'étais qu'un sale Arabe de plus», explique-t-il. «J'avais plus d'affaires, mais le passeur en Turquie m'a dit que je ne pourrai pas monter dans le bateau si je ne les laissais pas». Devant la gare, une soixantaine de cars se remplissent rapidement. A 01H37 (23H37 GMT vendredi), l'étrange convoi escorté par la police s'ébranle dans les rues obscures de la capitale hongroise. Des passants sourient, agitent la main, prennent des photos. Certains semblent déconcertés. Un groupe de fans de football fait un doigt d'honneur et hurle «Gitans! Gitans! Partez!». «La plupart des Hongrois sont biens, certains m'ont beaucoup aidé. C'est à ceux-là que je m'intéresse (...) pas aux autres», confie Yaman, un étudiant d'Alep (Syrie), une des plus vieilles villes du monde aujourd'hui détruite. Lorsque le car traverse le Danube, il se rappelle un chauffeur de taxi qui lui avait parlé du grand fleuve. «Il l'appelait le Douna, il avait raison, c'est magnifique». La plupart des passagers s'endorment dès que le convoi quitte la ville, couchés par terre, un sac ou une bouteille comme oreiller, l'air épais de l'odeur des corps non lavés.