Bahia ressent les premières contractions. Son mari l?emmène en urgence à l?hôpital Parnet. Il était loin de se douter qu?il allait perdre à jamais la mère de ses enfants à cause d?une grave négligence médicale. «Vous ne pouvez pas savoir ce que c?est de voir sa femme mourir sans pouvoir rien faire. C?est effroyable ! Même si je sais que parler aujourd?hui ne la fera pas revenir, je veux dénoncer pour que cela ne se reproduise plus», raconte Fatah. Ses grands yeux noirs lancent un regard hagard. De temps à autre, il croise nerveusement ses longs bras ou frotte ses yeux pour retenir les sanglots qui lui brûlent la gorge. Son beau-frère, qui l?a accompagné, lui tape affectueusement sur l?épaule afin d?apaiser son agitation. «Le médecin de garde de l?hôpital Parnet a refusé de prendre en charge ma femme, prétextant que le service était complet. C?était faux ! Une femme qui a accouché le même soir est prête à témoigner, à dire que le bloc était vide. Mon Dieu ! J?ai supplié le médecin de garde, le surveillant médical, l?infirmière stagiaire pour qu?ils assistent ma femme, car elle était souffrante. J?ai même proposé de ramener des matelas pour que ma femme soit assistée à terre, dans le couloir, pour son accouchement. Ce n?était pas possible de la transporter, car elle était à terme. En vain. Elles m?ont demandé de la transférer à l?hôpital de Kouba et dans ma voiture ! Ils m?ont refusé même l?ambulance !» Les confidences deviennent difficiles, sont entrecoupées de sanglots et de longs moments de silence. Fatah pleure. «Bahia était le pilier de ma vie. Aujourd?hui, j?ai tout perdu. C?est comme un mur qui s?écroule. Même si on en reconstruit un autre, il ne remplacera jamais le premier. J?ai perdu un frère, certes c?était pénible, mais la mort de Bahia est comme un trou profond, une blessure incurable», lâche-t-il. A 40 ans, père de quatre enfants ? Majda 3 ans, Mounir, 8 ans, Nesrine, 12 ans et le dernier, Mohamed-Imad ? Fatah devient veuf après près de 15 ans de vie commune avec Bahia, 37 ans. Notre interlocuteur raconte que lorsqu?on lui a annoncé la mort de sa femme, il n?a rien suspecté, il a cru que le décès était dû à son pénible accouchement. «Ce sont les révélations contradictoires des médecins qui m?ont mis la puce à l?oreille. L?un des médecins de l?hôpital de Kouba m?a dit que si ma femme avait été admise à Parnet, elle aurait pu être sauvée. Une infirmière m?a révélé que ma femme était morte rapidement. Pourtant, l?une des sages-femmes qui l?a accouchée m?a attesté qu?elle a parlé à Bahia, que cette dernière était bien après son accouchement. Elle a accouché à 5h 30 et elle est morte à 8h, ce n?est pas normal !» Depuis le 30 août, Fatah attend le rapport du médecin qui a assuré le service le même jour et qui expliquerait les causes du décès. Le professeur chef du service maternité de Kouba le lui a promis. «Je suis revenu plusieurs fois et je n?ai rien reçu. Ils m?ont fait courir plus d?une semaine. J?ai l?impression qu?ils veulent étouffer l?affaire.» Fatah reste convaincu que la mort de sa femme est due à une négligence médicale et il est prêt à aller au bout. «Entre 5h 30 et 8 h, il s?est écoulé beaucoup de temps. J?ai appris que le service maternité n?ouvre ses portes qu?à partir de 9 h. Je crois que ma femme a eu une hémorragie et qu?il n?y avait personne pour la stopper.»