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Alerte aux urgences !
Virée dans les hôpitaux de la capitale après le f'tour
Publié dans Liberté le 31 - 10 - 2005

Le pavillon des urgences marche à deux vitesses, exactement comme une horloge biologique. Le jour et la nuit, mais avec deux visages totalement opposés.
Ce n'est jamais de gaieté de cœur que l'on se rend à l'hôpital. À plus forte raison quand il s'agit d'une évacuation urgente. L'idée préconçue est toujours synonyme de voyage dans le néant. Qui d'entre nous n'a pas vécu un souvenir marquant en ces lieux où seul le néon éclaire les idées noires ? Qui d'entre nous ne garde pas en mémoire un moment de détresse, en se faisant accompagner par des proches pour un problème de santé, ou en accompagnant tout simplement un parent, son enfant ou sa femme, ou encore un ami,un voisin vers cette destination où le diagnostic peut carrément changer le cours de votre vie ? Il faut dire que le pavillon des urgences n'a rien de sympathique. Un facteur qui s'ajoute au stress du malade.
Nous avons entamé notre virée nocturne par le plus grand hôpital du pays, le CHU Mustapha-Pacha. L'établissement accueille non seulement des malades venant de toute la wilaya d'Alger, mais aussi de l'intérieur du pays.
Il est minuit. À la réception des urgences, les agents s'affairent à délivrer le formulaire de la visite, moyennant un reçu de paiement de 100 DA. Dans la salle d'attente, les malades sont mal à l'aise. Certains se tordent sous l'effet de la douleur. D'autres, tout aussi marqués, traits tirés et cernes témoignant de leur mal en point, souffrent en silence. Les accompagnateurs s'impatientent. Ils finissent par céder en exprimant leur mécontentement face aux lenteurs des prestations. D'autres malades arrivent. Une femme transportée sur un chariot est vite admise. Un homme se lève et échange quelques mots avec les agents de la réception.
Une petite discussion qui finit par prendre une autre tournure. Des menaces proférées ne sont pas du goût du réceptionniste qui met en garde. Un agent de sécurité intervient pour calmer le plaignant. On finit par comprendre que ce dernier, qui accompagne son épouse aux prises à une crise d'asthme, attend depuis plus d'une heure pour voir le médecin. La femme sur le chariot quitte le cabinet de consultation.
C'est la ruée ! Tout le monde veut passer en priorité. Un vacarme suivi d'une anarchie indescriptible attire les agents de sécurité qui ont toutes les difficultés du monde à calmer les esprits.
L'intimité violée
Une dame est admise pour des douleurs atroces à l'estomac. Le temps que son mari revienne de la réception pour quelques formalités, elle est surprise par l'intrusion d'un groupe de policiers tenant des jeunes, menottes aux poignets. Sans décliner notre profession, nous demandons au chef de nous expliquer cette intrusion. “C'est une perquisition”, lance-t-il. Son subalterne tempère et explique qu'ils (les policiers) sont obligés de faire examiner par le médecin de garde les délinquants avant de les mettre en garde à vue. “Que fait-on de l'intimité du patient, une femme de surcroît ?” rétorque le mari.
Contrariés et ayant pris conscience de la faute professionnelle commise, ils quittent le cabinet à la recherche d'un médecin disponible. Ce qui n'est pas évident.
En fait, ce qui reste incompréhensible dans cet endroit, c'est toute cette flopée de médecins, stéthoscopes autour du cou, faisant les cent pas, alors que des malades prenant leur mal en patience guettent le moindre geste de délivrance. Soudain, une cacophonie éclate devant le cabinet de consultation. Cette fois, c'est le médecin qui abandonne la partie. Il quitte les lieux, laissant les malades envahir le cabinet. Nous le suivons dans son élan et lui demandons les raisons de son abandon de poste. “Je n'en peux plus. J'exige de l'ordre, sinon pas question de travailler dans des conditions pareilles”, avertit-il à qui veut l'entendre.
Nous le raisonnons et lui rappelons que le noble métier qu'il exerce lui dicte de se maîtriser. Il acquiesce. Nous profitons du moment pour engager une discussion franche sur les conditions de travail. “Vous savez, c'est des jours. Parfois, toute la nuit est calme. Mais il arrive aussi des moments pires que ceux que vous venez de voir. On nous ramène des délinquants, des toxicomanes, des SDF. Même les familles et les accompagnateurs de malades se mettent de la partie pour nous agresser. Des agressions qui vont parfois au-delà du supportable”, dira-t-il dépité.
Il est 1h du matin. Le jeune médecin est déjà exténué surtout moralement. En le quittant, une scène des plus insolites nous est livrée dans le hall. Un homme accompagnant sa femme hypertendue est pris de malaise. Tout le monde accourt vers lui afin d'éviter qu'il tombe, y compris la pauvre épouse qui a oublié du coup sa maladie. Dehors des ambulances de la Protection civile arrivent l'une après l'autre : accidents de la circulation, personnes âgées en proie à différentes crises (asthme, diabète, complications respiratoires, etc.,), notre photographe est obligé d'user de subterfuges pour faire son boulot. Dans l'état d'excitation où se trouvent les “visiteurs”, il n'est pas évident d'accomplir sa tâche sans risque d'éventuelles réactions.
Un supporter usmiste dans le coma
Pour la deuxième nuit, nous ciblons Maillot, un hôpital connu pour recevoir un nombre important de malades par sa position dans le quartier le plus populaire et populeux de la capitale, en l'occurrence Bab El- Oued. À notre arrivée dans le pavillon des urgences, nous avons été surpris par la présence de beaucoup de monde faisant le pied de grue devant l'entrée. Des têtes connues du monde du football algérois. Pour en savoir plus, on se fait passer pour une urgence en payant 100 DA pour la consultation.
À l'intérieur, les malades attendent chacun son tour. Aucune présence, comme à Mustapha, d'infirmier secrétaire censé réguler les entrées. Dans une salle où la porte est entrouverte, nous apercevons un médecin affairé à recoudre le cuir chevelu d'un homme allongé et apparemment inconscient. Plusieurs versions sont données par les présents. On saura par la suite que l'homme en question n'était autre que la mascotte du célèbre club de foot, l'USMA. Le malheureux aurait été, selon des témoins, percuté par une voiture. Lors de notre présence, il était plongé dans le coma. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement et un retour parmi les sympathiques supporters usmistes.
Une fois dans le cabinet de garde, nous expliquons au jeune médecin Mohamed Chicouche Lotfi, un interne, que nous sommes là pour un reportage. Il accepte volontiers de nous livrer ses impressions. Il parle des conditions difficiles du service des urgences. “Les agressions verbales sont fréquentes. Il suffit de presque rien pour que le malade ou l'accompagnateur passe à l'acte. Il arrive que des menaces d'atteinte physique soient proférées à la face du médecin. Nous n'avons aucune protection. Les agents de sécurité n'interviennent presque jamais. Tenus par des obligations déontologiques et morales, nous continuons à faire notre métier quelles que soient les circonstances”, confie-t-il.
Originaire de l'intérieur du pays, ce médecin qui est en fin de cursus ne manquera pas d'exprimer également sa déception quant au laisser-aller manifeste de l'administration dont les carences en matière de gestion sont nombreuses.
Dans le couloir, un couple de personnes âgées essaie d'apitoyer toute personne en blouse blanche. Fatiguées, les deux personnes, faute de chaise, se sont laissées aller contre le mur en attendant de passer chez le médecin. Il est 23 h, nous prenons la direction de l'hôpital Birtraria. C'est le calme plat. Les urgences médicales fonctionnent à petits pas. Deux jeunes internes quelque peu “impressionnées” par notre présence ont du mal à parler. “C'est une consultation particulière, un reportage pour le compte de Liberté”, annonçons-nous.
Au bout de quelques minutes de palabres, on finit par faire délier les langues. Les deux jeunes filles relatent leurs conditions de travail, les mêmes que celles déjà confiées par leurs confrères des autres hôpitaux. “Avec une moyenne de 40 malades par garde, il n'est pas étonnant d'enregistrer des accrochages, notamment avec les accompagnateurs nerveux”. Vers minuit, nous quittons cet hôpital où tout semble calme. “Mais, il n'en est pas ainsi tous les jours”, nous fait-on savoir. Nous arrivons aux urgences de Zemirli où tout ne va pas pour le mieux.
S'il est vrai que les hôpitaux que nous avons pu visiter ne sont pas dans les conditions d'accueil et de propreté exigées par les normes, ici l'état des lieux est carrément lamentable. D'abord, on y entre comme dans un moulin. Vous pouvez traverser le service de part en part sans rencontrer un seul agent pour vous demander où vous allez. Une partie de ce pavillon est en travaux, en témoignent les matériaux de construction entreposés juste à côté de la radiologie.
Le plâtre est partout. Les sanitaires sont dans un état de saleté repoussante. Un homme qui vient d'y sortir gémit. Nous l'abordons. Il se plaint de douleurs dans le dos. “Ce n'est pas une crise de colique néphrétique ?” lui demandons-nous. Cela fait plus de deux heures qu'il a passé une radio, mais il n'arrive toujours pas à toucher le médecin qui l'a vu la première fois. Certains bureaux sont désertés. Des paquets d'ordonnances vierges et des seringues traînent sur une table sans aucune surveillance.
Les malades venant pour la majorité de la région d'El-Harrach et de Baraki sont livrés à eux-mêmes. Des cris arrivent du côté de la radiologie que nous rejoignons en un temps record. Une dispute qui dégénère en bagarre. Les parents d'un malade s'en prennent au technicien à qui ils reprochent de prendre tout son temps. On calme les esprits et les choses reprennent leur cours.
“Humanisez les hôpitaux !”
Comme à Birtraria, les urgences du CHU Parnet sont plutôt calmes. Vous n'avez pas à payer la consultation comme à Mustapha ou Maillot. Au cours de la discussion avec le Dr Yaici, médecin de garde, nous saurons que les gardes ne sont pas toujours calmes ici. “Nous subissons souvent des agressions verbales. Cela arrive lorsque nous refusons de céder à la demande de certains malades exigeant du Diazépam (Valium). On reçoit des malades de la région de Blida, des dépendants de tranquillisants et autres barbituriques”, souligne le médecin. Nous laissons cette dernière avec un patient, une personne âgée se plaignant de douleurs gastriques.
À l'hôpital de Béni Messous, le pavillon des urgences médicales grouille de monde. Notre arrivée attire le regard. En quelques minutes, le tour du service est accompli sans le moindre incident. Dans le couloir des malades attendent chacun son tour pour la consultation. Un couple de Maliens est à bout. La femme assise sur une chaise a les yeux révulsés. Elle se tient le ventre pendant que l'homme essaie de négocier avec un agent de sécurité pour la faire passer chez le médecin.
Au fond du couloir nous remarquons un homme, la quarantaine, qui n'a rien d'un malade. La communication est vite passée. Il nous confie qu'il est avocat. Il est venu avec quelques proches veiller sa mère mourante. Connaissant bien cet hôpital, cet homme dont le père a servi au sein de cet établissement durant quarante ans, n'y a pas été avec le dos de la cuillère pour fustiger la direction. “On manque cruellement d'humanisme. Un seul médecin dont le nom m'échappe a été à la hauteur de sa noble mission. Sinon aucune considération pour les malades. Ma mère est à ses derniers moments de la vie, et personne n'a assez de conscience professionnelle pour s'occuper d'elle. Cet hôpital a été construit sur une propriété familiale, cédée gratuitement par mes grands-parents.” Il parlera aussi des urgences pédiatriques qui sont dans un état lamentable. Pour lui, ce n'est ni un problème de moyens ni de manque de médecins, mais beaucoup plus la culture de l'humanisme qui fait défaut. En somme les urgences médicales gagneraient à s'améliorer dans ce sens. Beaucoup de secteurs sanitaires et d'établissements hospitaliers souffrent de ce problème dont les premiers à en pâtir sont les malades.
A. F.


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