La presse locale l'avait surnommée Ma Barker, mais ce sobriquer ne lui convenait pas. La véritable Ma Barker, la femme-gangster des années 30, n'avait été qu'un assassin sans scruptule. Notre Ma barker à nous était aussi douce qu'un mouton. Qand elle attaquait une banque, elle ne brandissait jamais un fusil, ni ne proférait de menaces. Sa méthode consistait à glisser un petit message au guichetier, demandant l'argent et précisant, sur un ton d'excuse, qu'elle avait une arme dans son sac, une arme dont, elle l'espérait de tout cœur, elle n'aurait pas à faire usage. Ma souriait. Elle disait «s'il vous plaît» et «merci». Au cours des deux dernières années, elle s'en était prise à treize succursales du centre ville, pour un butin total de quelque quatre-vingt mille dollars. Si elle n'était pas dangeureuse, elle était habile, douée d'un talent particulier pour se déguiser. Aucun des signalements fournis par les témoins oculaires, non plus que ceux établis à partir des enregistrements vidéo caméras de surveillance, ne coïncidaient. Sa voix, sa manière de s'exprimer, et son accent, variaient eux aussi. Tout ce que nous savions avec certitude, c'était qu'il s'agissait d'une dame dans la soixantaine, d'apparence ordinaire, de taille et de corpulence moyennes, sans aucun signe distinctif visible sous ses travestissements. Une femme si banale que c'en était déprimant. On ne lui connaissait aucun complice. Elle avait toujours fait ses petites affaires quand l'heure du déjeuner battait son plein, et personne ne l'avait jamais vue fuir en voiture. Ma prenait l'argent de la banque avec politesse, puis s'évanouissait dans la foule de midi. Il y avait eu quelques pistes. On avait cru la repérer quelquefois, dans un bus, dans un taxi, ou pénétrant dans une ville ou un appartement. On avait vérifié tous les renseignements, bien entendu, mais il n'en était rien sorti. La publicité accordée à ses agissements donnait la fièvre aux chefs de la police et aux inspecteurs chargés de l'enquête. Je sais de quoi je parle. J'en fais partie. Mon coéquipier et moi, nous avions récemment hérité de ce casse-tête auquel Wilson et Blasingame avaient renoncé. A cause de Ma, Wilson avait pris une retraite anticipée. Quand à Blasingame, il était retoutné sous l'uniforme dès que l'amélioration de son ulcère lui avait permis de reprendre son service. Avec Paget, mon coéquipier, nous étions en train de revoir l'affaire en déjeunant. Remâcher tout ça devenait lassant. Nous conservions une copie du dossier dans la voiture. Le classeur avait dix-huit centimètres d'épaisseur. Wilson avait pris ses notes avec méticulosité. On avait l'impression de relire encore et toujours un mauvais bouquin. Aujourd'hui, je m'en fichais un peu, parce que c'était le tour de Paget de choisir le restaurant. La cuisine et la gastronomie étaient ses passe-temps favoris. Nous étions dans un machinh français. Paget avait commandé des escargots. Ma m'empêchait de penser à la nourriture. — Elle ne se sert pas d'une voiture, je suis d'accord, a dit Paget. — Elle prend les transports en commun, ou elle va à pied ? lui ai-je demandé. A suivre