Allemagne : l'extrême droite promet «une nouvelle ère» Tournant - L'extrême droite allemande a promis hier une «nouvelle ère» dans le pays lors de ses débuts à la chambre des députés à Berlin, où elle a aussitôt suscité la polémique en comparant son sort à celui des victimes du nazisme dans les années 1930. «Le peuple a décidé, une nouvelle ère débute maintenant", a lancé Bernd Baumann, l'un des représentants des 92 députés du parti anti-immigration Alternative pour l'Allemagne (AfD), lors de la séance inaugurale du nouveau Bundestag, la chambre basse du Parlement issue des élections législatives du 24 septembre. Jamais depuis l'après-guerre le Parlement national allemand n'avait compté autant d'élus de droite nationaliste, une césure pour le pays. D'emblée, l'AfD a versé dans la provocation en se disant ostracisée et se comparant aux victimes des méthodes nazies. M. Baumann a dénoncé «les manœuvres» visant à empêcher qu'un député AfD ne prononce le discours d'ouverture au Bundestag. Cette tâche aurait dû revenir au doyen de l'assemblée, le député AfD Wolfgang von Gottfried, 77 ans. Mais l'homme a qualifié l'Holocauste de «mythe» et afin de lui barrer la route, le Bundestag a changé ses règles : désormais le doyen n'est plus le député le plus âgé, mais celui élu depuis le plus longtemps. C'est finalement un élu libéral, Hermann-Otto Solms, 76 ans, qui s'est exprimé. «Depuis 1848, la tradition veut que la séance inaugurale soit ouverte par le député le plus âgé», s'est emporté M. Baumann. «Il n'y a eu qu'une exception», en 1933, quand Hermann Göring, alors président nazi du Reichstag, "a brisé cette règle" pour empêcher des opposants politiques de s'exprimer, a tempêté l'élu AfD. Mais selon l'agence de presse DPA, en supprimant le discours du doyen, Göring a en réalité empêché un membre du parti nazi de s'exprimer. La comparaison a suscité l'indignation. Cette référence "indicible" a été un «moment inquiétant», a ainsi estimé le patron des sociaux-démocrates, Martin Schulz. L'irruption de l'extrême droite préfigure un changement dans la vie politique allemande, habituée depuis des décennies à des échanges policés entre partis ayant tous gouverné ensemble dans des coalitions rendues nécessaires par un scrutin proportionnel. Vainqueur avec son parti conservateur des législatives, Angela Merkel est très affaiblie, à l'orée de son quatrième mandat, par le plus mauvais score enregistré par son camp depuis 1949. L'AfD est la troisième force politique du nouveau Bundestag. Avec 12,6%, elle a réalisé un score inédit pour un parti de ce type dans l'histoire d'après-guerre, surfant sur le mécontentement des électeurs face à l'arrivée de plus d'un million de demandeurs d'asile. Cette première session a aussi été l'occasion d'élire président du Bundestag le conservateur Wolfgang Schäuble, 75 ans, qui a appelé les élus à «éviter de se battre, y compris verbalement». La journée a aussi été marquée par la passe d'armes autour de l'élection des vice-présidents, chacun des six groupes parlementaires, l'AfD y compris, pouvant en avoir un. Des élus à l'idéologie xénophobe Ils sont magistrats, universitaires ou banquiers. Mais derrière leur profil de notables, les 92 députés d'extrême droite qui font leur entrée hier au Parlement allemand véhiculent pour beaucoup une idéologie flirtant avec le révisionnisme et la xénophobie. A l'image des différents courants qui traversent le mouvement - des modérés venus de l'opposition à l'euro aux identitaires les plus radicaux - les profils des nouveaux élus sont divers. Outre des magistrats et des économistes, l'AfD fait entrer au Bundestag des ex-policiers et militaires, un ancien journaliste de radio, un pilote et même un ancien informateur de la Stasi, la police secrète de la RDA communiste. De grandes tendances se dessinent tout de même: le groupe parlementaire AfD est le plus masculin, avec une proportion de femmes de seulement 10%; un grand nombre d'élus viennent de l'ex-RDA, là où le parti est le plus populaire; et une proportion importante sont des transfuges de la CDU, le parti de centre-droit d'Angela Merkel, dont ils dénoncent la "dérive" centriste sous sa houlette. Dans la vitrine que l'AfD aime à mettre en avant, on trouve Beatrix von Storch, une aristocrate installée dans un quartier branché de Berlin, proche des courants religieux intégristes et opposante farouche au multiculturalisme. Ou encore Alice Weidel, l'une des deux responsables du groupe parlementaire. Ancienne banquière chez Goldman Sachs, cette économiste de 38 ans au verbe acéré n'a pas peur des apparentes contradictions: lesbienne revendiquée vivant en couple avec une femme originaire du Sri-Lanka, elle incarne un parti qui milite pour les valeurs familiales traditionnelles et dénonce l'immigration. «Chasse à Merkel» L'un des deux chefs de file de l'AfD au Bundestag, Alexander Gauland, a promis d'y "mener la chasse" à Angela Merkel. Dans l'immédiat, le Bundestag n'aura pas grand-chose à faire, le gouvernement actuel d'Angela Merkel entrant formellement mardi en "affaires courantes" jusqu'à ce qu'un nouveau soit formé. De difficiles tractations ont débuté entre les conservateurs de la chancelière, les libéraux du FDP et les Verts. Elles devraient durer jusqu'à la fin de cette année, voire se prolonger en 2018. R.I./Agences Autriche/ Kurz et l'extrême droite en pourparlers gouvernementaux Processus - Le dirigeant conservateur autrichien Sebastian Kurz et le parti d'extrême droite FPÖ ont annoncé hier l'ouverture de négociations pour la formation d'une coalition de gouvernement, ouvrant la voie d'un retour de cette formation au pouvoir, dix-sept ans après le tollé européen de 2000. Le patron du FPÖ, Heinz-Christian Strache, n'a pas été long à saisir la main tendue: trois heures seulement après une invitation mardi matin de M. Kurz à engager des pourparlers exclusifs, il a annoncé "accepter" la proposition. "L'Autriche mérite la formation rapide d'un gouvernement stable", a jugé M. Kurz, 31 ans, vainqueur le 15 octobre d'élections législatives anticipées qu'il avait provoquées après dix ans de grande coalition avec la gauche. L'ouverture de ces pourparlers était attendue, les deux dirigeants n'ayant cessé de multiplier les signaux en ce sens, qualifiant notamment de "très constructives" leurs discussions préliminaires. Le rapprochement de MM. Kurz et Strache a ainsi déjà gagné le surnom de "coalition sushi" dans la presse de boulevard, du nom du mets que le chef du FPÖ a servi trois jours après le scrutin à M. Kurz lors d'un long dîner privé. Si elles aboutissent, les négociations impliqueraient un retour au pouvoir du FPÖ, dix-sept ans après que ce parti y ait été appelé par un autre conservateur, Wolfgang Schüssel. Cette initiative avait à l'époque provoqué un tollé mondial et des sanctions européennes. Dans un contexte de montée des partis populistes et anti-migrants dans plusieurs pays européens, une telle levée de boucliers apparaît cependant peu probable aujourd'hui, d'autant que M. Strache, 48 ans, a veillé à lisser l'image de son parti, à la tête duquel il a succédé en 2005 à Jörg Haider. M. Kurz, qui occupe les fonctions de ministre des Affaires étrangères depuis quatre ans et est appelé à devenir le plus jeune dirigeant au monde, a assuré hier qu'"une orientation pro-européenne claire" était un prérequis pour entrer dans son gouvernement. Les conservateurs ont remporté le scrutin du 15 octobre avec 31,5% des voix, devant les sociaux-démocrates du chancelier sortant Christian Kern (26,9%) et le FPÖ (26%). Parmi ses conditions pour entrer en coalition, le FPÖ a indiqué qu'il exigerait le ministère de l'Intérieur, un portefeuille régalien qui lui avait échappé en 2000. M. Strache a également fait une priorité de la "sécurisation des frontières", "la démocratie directe à la Suisse" et l''"arrêt de l'islamisation". "Nous avons des points d'accord et des points où nos positions divergent", a relevé M. Kurz, sans entrer davantage dans les détails. M. Strache a pour sa part prévenu que les pourparlers n'étaient "qu'un point de départ": "Ils n'aboutiront pas nécessairement car nous posons plusieurs conditions et ne cherchons pas à entrer au gouvernement à tout prix". Tchéquie : Une percée spectaculaire Contexte - Profitant de la méfiance des Tchèques vis à vis de leur classe politique et des "ordres de Bruxelles", le mouvement populiste ANO du milliardaire Andrej Babis, qualifié de "Trump tchèque", a largement remporté les élections législatives. Le scrutin de vendredi et samedi derniers aura vu aussi une percée spectaculaire du parti d'extrême droite SPD, anti-immigration et anti-UE, et celle d'une formation "anti-système", le Parti Pirate, selon les résultats officiels publiés après le dépouillement dans 99,9% des bureaux de vote. ANO ("Oui" en tchèque), qui a fait campagne sur la lutte contre la corruption, contre l'accueil des migrants et la zone euro, obtient 29,7 % des voix, soit 78 sièges à la chambre basse qui en compte 200. "Nous sommes enthousiastes. Nous remercions nos 1,5 million d'électeurs, ça dépasse nos attentes, car il y a eu une campagne de désinformation massive contre nous", a réagi M. Babis lors d'une conférence de presse. A plusieurs reprises, il a souligné qu'il était "pro-européen". "Je ne sais pas pourquoi quelqu'un dit que nous sommes contre l'Europe", a-t-il insisté. "Nous ne représentons pas une menace pour la démocratie". "Nous sommes prêts à lutter pour nos intérêts à Bruxelles, nous faisons partie intégrante de l'UE, et de l'Otan", a-t-il poursuivi, avant d'inviter l'Union à "engager une réflexion" et "cesser de parler d'une Europe à deux vitesses". Il n'a pas donné d'indication avec qui il comptait former une coalition et le gouvernement, déclarant qu'il avait proposé des négociations à tous les partis entrés au parlement et "attendait leur réaction". Il s'agit d'une opération délicate dans une chambre fragmentée entre neuf partis. Deux d'entre eux, l'ODS (droite eurosceptique) et KDU-CSL (chrétien-démocrate) ont immédiatement annoncé qu'ils ne négocieraient pas avec M. Babis. Le chef du premier, Petr Fiala, a affirmé qu'il y avait chez ANO "des gens qui ont promis beaucoup de choses et qui ne seront pas capables de les réaliser", tandis que le leader chrétien démocrate Pavel Belobradek, a dit qu'il n'irait pas "dans un gouvernement, s'il s'y trouve des gens poursuivis par la justice", dans une allusion aux ennuis de M. Babis avec la justice. Il reste que près d'un électeur sur trois a donné sa voix au milliardaire controversé qui a réitéré encore à la veille du vote son hostilité à l'accueil des migrants et à la zone euro. L'ANO est suivi par trois partis ayant obtenu des résultats presque identiques l'ODS (droite), 11,3%, soit 25 sièges, le Parti Pirate, 10,8% (22 sièges) et le SPD d'extrême droite, 10,6% (22 sièges).