La chancelière allemande Angela Merkel a entamé hier les négociations pour tenter de former son quatrième gouvernement. Mais cette fois-ci, la chancelière les aborde affaiblie par des élections décevantes et les gouffres idéologiques séparant ses partenaires potentiels. Les partis CDU et CSU, sa famille politique conservatrice, ont débuté des «entretiens préliminaires» en milieu de journée avec les libéraux du FDP. Les Verts suivront à partir dans l'après-midi. Demain, ils se retrouveront tous à la même table. Ces deux premiers rounds visent avant tout à prendre la température et à établir les ordres du jour, les négociations sur le contenu devant durer au moins jusqu'à la fin de l'année. Arithmétiquement, seul cet attelage à quatre, contre nature sur le papier, est possible pour former une coalition majoritaire à la chambre des députés suite à la décision des sociaux-démocrates de rejoindre les bancs de l'opposition. L'une des figures des Verts, Katrin Göring-Eckardt, a appelé au respect mutuel même en cas de différences de point de vue, y voyant même «une condition préalable» pour des «discussions sérieuses». Mais l'indéboulonnable dirigeante allemande semble face à une équation impossible depuis les législatives du 24 septembre qu'elle a remportées avec le plus faible score pour son camp depuis 1949. Si elle veut son quatrième mandat de chancelière, Mme Merkel n'a d'autre choix que de faire cohabiter des centristes à son image, des conservateurs qui veulent mettre la barre encore plus à droite comme les Bavarois de la CSU, des Verts divisés ainsi que des libéraux très exigeants. Filant la métaphore à propos de cet attelage «Jamaïque» en référence aux couleurs des partis identiques à celles du drapeau de cette île des Caraïbes, un responsable de la CSU, Alexander Dobrindt, a reconnu qu'il y avait souvent des tempêtes dans ce coin du globe. Les sujets de frictions sont nombreux. De l'immigration à la réforme de l'Union européenne, de la transition énergétique à la fiscalité, aucun sujet ou presque ne semble unir ces formations. Pour ne rien arranger, dimanche le parti de Mme Merkel a perdu une élection régionale en Basse-Saxe qui deux mois plus tôt lui semblait promise. Cet échec apporte de l'eau au moulin de la droite de la CDU et surtout de la CSU qui cherchent à regagner les voix parties à l'AfD, une formation d'extrême droite qui fait une entrée fracassante au Bundestag. Malgré tout, la chancelière a assuré lundi aller «très confiante à ces pourparlers» et a affirmé ne pas être en position de «faiblesse». Elle a néanmoins reconnu que les pourparlers préliminaires allaient probablement durer «des semaines». Et ce n'est qu'en cas de succès que commenceront des négociations sur la composition gouvernementale et sur son programme précis. Dès lors, au mieux, l'Allemagne aura son nouveau gouvernement pour Noël. Au pire, en cas d'échec, des élections anticipées seront convoquées, ce qui serait une première pour ce pays où la culture du compromis a toujours régné depuis 1945. «C'est clair pour nous que ce ne seront pas des discussions faciles», résume Mme Merkel. Le chef du FDP, Christian Lindner, a déjà revendiqué cette semaine pour son parti le très convoité ministère des Finances, après le départ du conservateur Wolfgang Schäuble. Un portefeuille qu'elle n'est pas prête à lâcher facilement. Pour nombre de médias, la difficulté de former un gouvernement et l'affaiblissement d'Angela Merkel dans son propre parti annoncent le crépuscule de la chancelière après douze années au pouvoir. «C'est un phénomène étrange que vit l'Allemagne. On négocie une coalition qu'aucun des partis concernés ne veut vraiment, et au même moment l'auréole de la cheffe du gouvernement pâlit et sa puissance s'effrite», estime sur son site le magazine de référence Der Spiegel. Dans les rangs de l'opposition, on aiguise d'ailleurs déjà les couteaux. «Merkel a été sévèrement touchée (...) c'est une ambiance de fin d'époque», tacle Carsten Schneider, un responsable social-démocrate.