L?occupation de l?Egypte marquait une rupture absolue avec les anciennes traditions, et les nouveaux gouvernants pouvaient redouter les réactions d?une population dont l?attachement au sunnisme était bafoué et les liens avec le pontife de Bagdad brusquement rompus. Aussi, les Fatimides édifièrent-ils, pour leur cour et leurs services administratifs et militaires, une nouvelle ville, Le Caire (969), située au nord à une certaine distance des faubourgs de celle de leurs prédécesseurs, préfets envoyés de Mésopotamie. Cette cité fut entourée, cent ans plus tard, d?une solide muraille en pierre dans laquelle s?ouvraient des portes monumentales ; trois d?entre elles s?offrent encore à notre admiration. Les monuments fatimides les plus importants ont également subsisté, telles les mosquées al-Azhar et al-Akmar, celle de Salih Tala?i ; la mosquée du calife al-Hakim est aujourd?hui bien délabrée. L?étude des objets d?art de cette période laisse supposer qu?ils sont pour la plupart l??uvre des Coptes, les tissus certainement, les bois sculptés très probablement, et cette constatation est conforme aux données historiques. Tous les écrivains arabes, chrétiens et musulmans s?accordent à mettre en relief la faveur dont les chrétiens bénéficièrent sous le régime des Fatimides ; une grande ère de prospérité s?ouvrit alors pour les églises et les couvents coptes. Une éclipse de cette tolérance envers la communauté chrétienne coïncide avec le règne du calife al-Hakim (996-1021) ; fanatique, celui-ci fit démolir l?église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Il se déclara dieu, et les auteurs musulmans rapportent que «tous les rêves que lui suggérait sa folie n?étaient susceptibles d?aucune interprétation raisonnable». Les Druzes reconnaissent encore aujourd?hui sa divinité. Ainsi, le calife al-Hakim avait gravement compromis d?heureuses perspectives. Une crise économique sans précédent s?abattit sur le pays pendant le règne d?al-Mustansir (1036-1094), le plus long de l?histoire du monde musulman. En outre, des luttes sanglantes entre les milices ébranlèrent le régime. La défense du pays était assurée par des mercenaires, successivement des Berbères, des Noirs, des Turcs, des Arméniens. A la cour, des rivalités mettaient aux prises les califes et leurs Premiers ministres, le pouvoir étant exercé tantôt par les uns, tantôt par les autres. Un tout-puissant vizir, Badr al-Djamali, inaugurant la période arménienne des Fatimides, remit de l?ordre dans l?empire ; on lui doit, outre les remparts de la capitale, une refonte des divisions administratives du pays. Mais le régime, miné par les complots et les jalousies des ministres et des militaires, ne parvint pas à se redresser. Les auteurs arabes ne se lassent pas de décrire le trésor des califes fatimides : pierreries d?une valeur inestimable, bijoux d?or et d?argent, innombrables récipients en cristal de roche, boîtes en bois précieux, armes, pièces de céramique, tissus somptueux de lin et de soie, certains brochés d?or, tapis, et la plus belle bibliothèque qui existât à cette époque dans le monde musulman. Les rares objets en cristal de roche parvenus jusqu?à nous, des étoffes et des animaux en bronze nous permettent d?imaginer l?opulence de ces fastueux souverains. On admire à juste titre les frises de bois du palais royal du Caire, sur lesquelles sont sculptées des animaux, des personnages isolés ou groupés, des scènes de musique, de danse, de beuverie ou de chasse. Les Fatimides ont été les inspirateurs d?un art qui, tout en suivant les vieilles traditions, créa des formes originales de décoration. Le dernier acte politique se déroula dans le calme. Le prince zenguide d?Alep, Nur al-Din, fut amené à intervenir en Egypte et à y envoyer un contingent. Un jeune officier, Salah al-Din (Saladin), se risqua, un vendredi, à faire prononcer la harangue religieuse au nom du calife de Bagdad. Les écrivains arabes citent à cette occasion un vieux proverbe arabe : «Ce n?est pas pour cela que deux chèvres se battirent à coups de cornes.» Tel fut l?acte de naissance de la dynastie ayyubide.