H?mimed fête les funérailles de son père. Oui, oui, c?est bien d?une fête qu?il s?agit, puisqu?il y a de nombreux convives, que les moutons ont été égorgés, que le couscous a été roulé et que le l?bène coule à flots. Le père de H?mimed était décédé la veille seulement. Il avait avalé de travers toute une cuisse de poulet dans un repas de noces. Il était mort comblé, c?est le cas de le dire, lui qui, de toute sa chienne d?enfance, avait rêvé de manger un poulet à lui tout seul et mourir juste après. Dès que H?mimed avait fait sortir la dépouille de l?hôpital, fait coudre le linceul, réservé un emplacement au cimetière et contacté les tolbas pour la veillée funèbre, les moutons et les parents commencèrent à affluer. Les premiers furent égorgés dans une convivale ambiance, comme lors de la fête du sacrifice et les deuxièmes se vautrèrent allègrement sur les matelas du salon arabe ou s?accroupirent autour des meïdas. Chacun selon son statut. Les choses sérieuses purent alors commencer. Il fallait d?abord commencer à siroter de nombreux cafés très sucrés, en faisant mine de parler du mort et de ses nombreuses qualités? Celui-ci, un personnage exécrable, était devenu, dans la bouche des convives, un homme bon et généreux. Les femmes s?affairaient, dans un joyeux concert de marmites à préparer le couscous, la chorba, la salade, les gâteaux au miel. Elles piaillaient, jacassaient et pleuraient de rire. L?une d?elles, qui fut rappelée à plus de retenue par la vieille s?ur du défunt, lui fit, dès que celle-ci eut le dos tourné, un joli bras d?honneur et lui tira la langue, ce qui fit pouffer toutes les autres, surtout les brus. Au retour de l?enterrement, qui fut expédié avec une célérité remarquable, H?mimed eut la surprise de compter des dizaines de parents, de voisins et d?amis qui se pressaient autour des meïdas pour se régaler du bon couscous. C?est surtout pour gagner une «hassana», disent-ils. Les mêmes et d?autres encore revinrent pour le repas du soir. Certains avaient même ramené leurs moutards et les gavaient subrepticement de gros morceaux de viande. Les talebs, qui récitaient le Coran, furent particulièrement voraces. Ils engloutissaient des quantités énormes de nourriture, redemandaient de la viande, exigeaient du miel pur pour adoucir leur voix. Puis, il y eut le septième et le quarantième jours. Des bombances mémorables. Un si bon couscous.