De l?index, H?mimed retira de dessous la lèvre supérieure une grosse boule de «chemma harcha» et d?une chiquenaude l?envoya rouler sur le trottoir. Il s?essuya sur le pantalon le jus de chique qu?il avait sur la main. Il n?aura cure, tout à l?heure, de tâter avec cette main souillée plusieurs pains à la boulangerie avant d?en choisir quelques-uns ou de serrer la main à tous ceux qu?il va rencontrer. H?mimed chique depuis qu?il était tout jeune. C?est son péché mignon. Pour rien au monde, il n?arrêterait cette drogue. Pendant le mois du ramadan, il est d?une humeur massacrante. Lui, qui est un gros consommateur de chique, souffre affreusement du manque pendant la journée. Dès l?annonce de la rupture du jeûne, il avale rapidement un café puis enfourne une grosse boule de chique, sans même l?enrober de «massa». Ses nerfs se détendent, un sourire béat se dessine sur ses lèvres et un ravissement de jouissance envahit tout son être. Ce n?est qu?après avoir sacrifié à ce vice divin qu?il avale rapidement son repas après avoir craché en une flaque sonore, le résidu puant de sa chique. H?mimed n?est pas gêné du tout d?exposer devant tout le monde cette peu ragoûtante manie puisque lui et ses semblables sont majoritaires dans notre société, encore plus que les fumeurs, y compris dans la capitale. Les plus nombreux sont ceux qui usent de la chemma harcha. Le tabac à chiquer. La chemma retba est de moins en moins utilisée, c?est le tabac à priser. La pratique consiste à coincer une grosse pincée de chique sous la langue ou sous l?une des lèvres. Chiquer sous la lèvre supérieure se dit «djmaât l?premier étage», sous celle du bas c?est le rez-de-chaussée et sous la langue, la cave. Certains utilisent du papier à cigarette, de la «massa» pour atténuer un peu l?effet salivant du produit, car un chiqueur crache beaucoup, à même le sol, un liquide noirâtre et abondant. Mais ce n?est pas le crachat qui gêne tant l?entourage de notre cher H?mimed, c?est aussi l?haleine de poisson pourri qu?il dégage et que tout le monde doit supporter sans détourner la tête, pour ne pas lui faire de la peine, mais aussi pour ne pas s?aliéner les nombreux chiqueurs qui sont très solidaires quand on blesse leur susceptibilité. D?ailleurs, ils vous rappellent souvent que même s?ils crachent beaucoup et qu?ils sentent mauvais, ils ne vous pompent pas l?air, comme les fumeurs.