Si dans la tradition algérienne, le pigeon, lh'mam, est un oiseau toujours triste, c'est parce que, dit-on, il regarde sa mort en face. Autrement dit, la mort le regardant de face, il sait le moment et le lieu où il va mourir. Ceci explique son cri plaintif ainsi que sa couleur foncée, symbole de deuil. L'homme, à l'inverse, a la mort «derrière» lui (Imut mur-ah) ; ne pouvant la voir, il ignore le jour et le lieu de sa mort. Il se moque donc d?elle. Et il ne prend conscience de son existence que lorsque quelqu'un de son entourage meurt ou quand lui-même est malade ou sur le point de mourir. Heureusement que l?homme a la mort derrière lui, disent les braves gens, autrement il serait constamment plongé dans le désespoir, il n?aurait plus envie de travailler ni de penser à l?avenir. Les gens pieux regrettent quand même cette insouciance. Plutôt que de vivre dans un continuel désespoir ou de se dissoudre dans une perpétuelle insouciance, ces mêmes gens recommandent le juste milieu, al wasat'. C'est, dit-on, la position du Prophète : «A?mal li dunyaka ka?anaka ta?îch abadan, a'mal li akhiratika ka?anaka tamuta ghada» (?uvre pour la vie terrestre comme si tu devais vivre éternellement et ?uvre pour la vie dernière comme si tu devais mourir demain) ! Mais les gens, dit-on, ne pensent qu?à la vie terrestre, ddenya, et oublient la mort? C'est que le propre de l?homme, c'est également espérer, en dépit de la mort qui le guette. C'est ce qu?enseigne ce proverbe : «Ma tekhredj ennefs men l'amal, h'ata tedkhal f l'adjal» (l?âme ne cesse d'espérer jusqu'à ce qu?elle tombe dans la mort). Ne dit-on pas que l'espoir fait vivre ?