Récit L'épouvante se saisit du promeneur et il n'a plus qu'une envie : fuir, quitter ces lieux maudits, retourner le plus vite possible dans le monde des vivants... Avant que les incendies ne réduisent leurs superficies, les forêts de l'Atlas blidéen s'étendaient à perte de vue, touffues et mystérieuses. Ceux qui s?y aventuraient étaient saisis de crainte dès qu'ils y pénétraient : c?est comme si la forêt, secouée de mille bruits, se mettait à chuchoter, voire à parler. Les arbres donnaient l?impression de bouger, étendant comme des bras leurs branches feuillues, les buissons avançaient, les épines dressées comme des boucliers. Parfois, c?est le silence total, un silence qui plonge dans l'angoisse et donne envie de fuir des lieux qui ont tout l?air d'être hantés. Hantées les forêts de l?Atlas ? Oui, répondent ceux qui les connaissent bien : certains affirment même avoir vu se détacher des arbres des formes fantomatiques, des mains squelettiques qui sortent du néant, prêtes à happer les vivants qui s?y promènent. Parfois ce sont des visages qui se détachent de l'ombre, souriant ou grimaçant, des bouches qui prononcent des paroles imperceptibles... L'épouvante se saisit alors du promeneur et il n'a plus qu?une envie : fuir, quitter ces lieux maudits, retourner le plus vite possible dans le monde des vivants... Dans l'antiquité déjà, I'Atlas inspirait la crainte et le respect. Pline l'Ancien, dans le passage de son Histoire naturelle consacrée à l'Afrique du Nord, I'évoque ainsi, mêlant description physique et légendes rapportées par les auteurs antérieurs : «Du milieu des sables, (la montagne) s'élève vers le ciel, à ce qu'on rapporte, abrupte et rocailleuse du côté qui regarde vers le littoral de l?océan auquel elle a donné son nom, mais en même temps ombreuse et boisée, arrosée par le jaillissement des sources du côté qui regarde I'Afrique. Là, à l'abri de ses couverts, toutes les espèces de fruits proviennent en telle abondance que les désirs sont toujours comblés. Aucun des habitants n'est visible pendant la journée ; le silence universel exprime un autre effroi que celui des solitudes : une crainte religieuse muette envahit l'âme lors de l'approche, à quoi s'ajoute l?effroi que donne de ce sommet dressé au-dessus des nuages et voisin de l?orbite lunaire. Mais la même montagne, de nuit, scintille de mille feux, s'emplit des ébats folâtres des Egypans et des Satyres et retentit du son des flûtes et du pipeau, du fracas des tambourins et des cymbales» (Livre V, 6-7) Ces fracas, des contemporains les évoquent aussi : «Dans ma jeunesse, raconte un vieil homme, je me trouvais dans la forêt, à braconner. J'avais récupéré les bêtes qui s?étaient prises dans mes pièges et je m'apprêtais à rentrer, la gibecière lourdement chargée. C'est alors que j'ai entendu comme un bruit de tambourin, accompagné du son guttural de la ghayta. J'ai d?abord eu peur, croyant à l?arrivée des gardes-champêtres, puis je me suis dit que c?étaient quelques jeunes qui faisaient la fête ou même qui célébraient une noce. C?était une idée saugrenue de célébrer la noce dans la forêt, mais je me suis dit que tout était possible. Je m'approchais donc du bruit et j'allais ainsi dans la cIairière. Là, le bruit était assourdissant : c'est, en toute vraisemblance, l?endroit où se tenait la fête, mais, fait extraordinaire, il n'y avait ni musiciens ni danseurs, ou alors, la fête était invisible ! J'ai été pris par une sorte de vertige, restant là, paralysé par la peur, à écouter un concert de fantômes. Puis, je réussis à m'extraire à mon état de léthargie et je me suis mis à courir de toutes mes jambes?» (à suivre...)