«Alors, comme ça, dans vos toilettes, vous avez un boa ?» L'homme, qui est debout, face au shérif de la petite ville de Sonora, en Californie, rectifie dignement : «Pardon !... Entendons-nous bien !... Je n'ai pas un boa ! ll se trouve - NUANCE - qu'un boa s'est instaIlé dans mes toilettes, sans que je sois d'accord ! Si j'étais d'accord, je le saurais ! Ensuite je ne viendrais pas me plaindre à la police ! Et, de toute façon, je ne l'aurais jamais laissé s'installer là où il est ! Enfin, tout de même, ce n'est pas un endroit !» ll fait chaud en ce mois d'août 1970, dans cette partie centrale de la Californie. Le désert n'est pas loin, et le soleil tape sur les têtes. Le shérif de Sonora est un homme qui a la réputation d'être sagace, car il est aussi lent à réfléchir qu'à bouger. En réalité c'est qu'il est gros et économise simplement ses mouvements. ll consent cependant à plisser les yeux, à l'ombre de son chapeau, ce qui n'engage à rien. Puis il considère le petit homme énervé venu le déranger dans sa sieste, à trois heures de l'après-midi, pour lui parler d'un boa dans ses toilettes. C'est un agent d'assurances, honorablement connu dans la région de Sonora où tout le monde se connaît. ll est marié à une femme acariâtre qui se rend au supermarché en bigoudis, il a trois enfants criards, bref, il est tout à fait normal. En tout cas il l'a été jusqu'à présent. Le shérif récupère mollement son chewing-gum, sous sa canine gauche, et pose à M. Webley cette question précise : «Vous dites que le boa s'est installé dans vos toilettes. Qu'entendez-vous par «installé» ? Vous voulez dire qu'il y vit en permanence ?» M. Webley voit bien, au ton employé par le shérif, que la question est chargée d'ironie. ll le sent bien ! ll voit bien qu'il n'est pas pris au sérieux ! ll comprend d'ailleurs qu'il y a de quoi. Et ça l'énerve... plus il est obligé de s'expliquer, plus ça l'énerve ! C'est donc extrêmement énervé qu'il répond : «Ce que j'entends par installé ? Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je ne suis pas fou ! Je suis normal, j'ai ma carte d'ancien combattant, je fais partie du Rotary, je donne aux ?uvres de police, j'ai voté démocrate ! et si je vous dis qu'il y a un boa dans mes toilettes, c'est qu'il y est. Voilà. C'est un fait. J'en suis moi-même étonné, je dois vous le dire. Au début, je ne voulais croire ni les enfants, ni ma femme, mais il y a une demi-heure, je l'ai constaté moi-même ! ll était DANS les toilettes. Je veux dire DEDANS : si vous voyez ce que je veux dire. ? Vous dites bien : DEDANS ? Vous voulez dire dans la... ? Oui ! C'est ça, vous y êtes. Non, enfin je veux dire, c'est là qu'il était, il y a une demi-heure, dans la cuvette. ? Et qu'est-ce que vous avez fait ? ? J'ai fait sortir tout le monde de la salle de bains, j'ai fermé à clef, et je suis venu vous prévenir. Moi, tout seul, je n'y entre plus.» Le shérif de Sonora consent enfin à se lever et à prendre sa voiture. Mais il démarre méthodiquement, évite de faire crisser les pneus et refuse d?actionner la sirène. Cette histoire, selon lui, ne vaut même pas le clignotant rouge. Quand il arrive devant l'immeuble où habite M. Webley, il lève la tête pour apercevoir au quatrième étage madame et les trois enfants Webley, réfugiés sur le balcon, guettant son arrivée. Et ils ont air d'y croire à leur boa, alors, en pénétrant dans l'appartement, le shérif demande : «ll est gros ? ? Eh bien, je ne peux pas dire, je n ai vu que la tête. Mais, d'après moi, il est déjà assez gros ! ? Et vous êtes sûr que c'est un boa ? ? Ah ! ça, écoutez, je ne peux pas vous garantir ! Ça m'a l'air d'un boa, c'est tout ce que je peux vous dire, pour autant que j?y connaisse quelque chose !» (à suivre...)