L?oiseau, cependant, entonne, de plus belle, une nouvelle ritournelle : «Tel un prince on m?apprête, On me déshabille, on me donne même un bain : Merci, mon vaurien de souverain !». Puis s?adressant au serviteur il se rit : «Ali, Ali montre à Sa Majesté si replet Mon ventre si plat et, Explique-lui donc que comme tous ses sujets, Je suis affamé !» Le serviteur, affolé, s?empressa de rouler l?oiseau déplumé dans les fines herbes, puis le saupoudra d?épices et de gros sel. Mais, encore une fois, le merle fit entendre sa chanson de plus belle : «Comme je suis propre et comme je sens bon ! Je suis sûr que Sa Majesté va encore se régaler». Le roi, hors de lui, hurla : «Plongez ce petit gueux dans le feu !» Les flammes dansaient en léchant le petit corps de l?oisillon qui entonna, encore plus fort, une autre chanson : «Coquin de sort, qu?il est beau ce feu de joie ! Dommage que, comme tous les sujets de ce roi, Je n?ai pas de gras, c?est pourquoi ce feu ne grésille pas ! Quand on est maigre on vit tristement et, Quand on meurt, on n?est même pas capable de faire pétiller Le feu de son roi. Qu?il est beau pourtant ce feu de bois !». Quand le petit merle fut cuit à point, Ali le servit entouré de mets exquis. Le roi s?en régala, mais il n?avait pas fini son repas que du fond de son estomac, il entendit une petite voix : «Quel immense antre que ce ventre ! Que de place ! Que bien fait me fasse ! J?y danse, j?y chante, je m?y prélasse !» Le sultan tenait son énorme ventre des deux mains pour tenter d?empêcher le merle de sautiller à l?intérieur. Parce que sa bedaine qui tanguait lui faisait très mal, il ouvrit une large bouche et hurla de peur et de douleur. Profitant que la bouche du roi soit largement ouverte, l?oiseau s?échappa et se posa sur le toit. Il prit le temps de remettre son couvre-chef bien droit, replaça dans son petit bec la jolie fleur et, d?une voix très forte il se remit à chanter : «Gens de mon pays, ce roi n?est pas digne d?être notre souverain ! Il est comme une sangsue, plus il grossit et plus le peuple maigrit. Gens de mon pays, ce roi n?est plus digne d?être notre souverain ! Tous les jours, il se tient le ventre parce qu?il l?a trop plein, Alors que nous, ses sujets, nous le tenons Parce que nous avons trop faim !» En un instant, le peuple à quatre pattes entoura le palais. Alors, le merle d?un coup d?aile ouvrit les portes du château et les sujets découvrirent, affalée par terre, la masse rampante qui était censée les gouverner, mais qui, en fait, les affamait. Le petit merle, encore une fois, fit entendre sa voix : «Roulez jusqu?à la mer, roulez ce gros boudin, Les poissons ont certainement faim !» Alors, les hommes se mirent debout et sortirent ainsi de la boue. Puis, arrivèrent les femmes, dont le désespoir avait écorché l?âme et que la misère avait marqué de sa flamme. Les ventres se révoltèrent au souvenir des vieilles peurs. Les gorges se durcirent de tant de silences refoulés. Les esprits s?échauffèrent et le souverain fut jeté à la mer. Il poussa un énorme hurlement et disparut dans la grande bleue. A ce cri, la terre sursauta, les vents tourbillonnèrent et soufflèrent sur toutes les contrées découvrant ainsi tout ce qui était hideux. La mer en furie se souleva, les fleuves sortirent de leur lit pour laver, enfin, dans tout le pays, tout ce qui fut sali ! Alors, on entendit pour la dernière fois, du petit merle la chanson : «Plus de gros souverain sacro-saint Plus de képis malins ! Et la main dans la main, ?uvrons A de meilleurs lendemains.» C?est ainsi que se termina l?histoire du roi glouton et de l?oisillon qui provoqua, un jour, une véritable révolution !