Il était une fois un roi si gros qu?il ne pouvait plus tenir sur ses jambes. Alors, il se roulait sur ses beaux tapis d?un bout de chambre à l?autre. Pour tromper son ennui, jour et nuit, il mangeait, il mangeait des makrouts (1) imbibés de miel, des baqlawa (2) gorgés de noix, des tas de nougats et des montagnes de chocolat? Mais, plus il mangeait, plus il grossissait et, plus il grossissait, et plus il devenait méchant. Il en vint même à interdire à tous les laquais de sortir du palais. En effet, le sultan avait trop peur que ses serviteurs n?aillent raconter que leur roi était si obèse qu?il ne pouvait plus s?asseoir sur son trône, que sa tête était si énorme que sa couronne était devenue trop étroite et que même ses bagues-sceaux refusaient de s?enfiler à ses doigts si gros. Aucune tenue d?apparat, aucune ne pouvait se boutonner sur son ventre si bedonnant ! Il portait donc une espèce de large chemise. Mais avez-vous donc déjà vu un roi, sans couronne et si mal habillé, régner ? Non, non, c?est pourquoi le roi s?enfermait et emprisonnait ses sujets dans son magnifique palais. Un matin, un petit oiseau se posa sur le toit et sans ambages se mit à chanter : «Roi, si riche et si laid Prisonnier de ton propre palais ! Roi, si riche et si puissant Regarde ton pauvre sujet ! Il est libre comme le vent. Roi si gros et si laid cesse donc de nous dévorer !» En entendant la chanson, le roi n?en crut pas ses oreilles et ordonna sur le champ à Ai, son serviteur zélé, d?aller capturer l?insolent qui osait ainsi insulter sa seigneurie. Le domestique grimpa sur le toit et s?écria : «Il n?y a qu?un petit merle siffleur qui porte une drôle de coiffe et qui tient en son bec une belle rose !» «Prends lui cette fleur, cria le roi, et apporte-la moi !» Mais dès qu?Ali arracha la rose à l?oiseau, celui-ci se mit à chanter à gorge déployée : «Quelle horreur. Il m?a pris ma fleur, mon porte-bonheur ! Que tous les malheurs s?abattent sur les voleurs !» Le roi superstitieux eut peur et hurla : «Ali, rapporte de suite sa rose à cet oiseau de mauvais augure !». Le merle saisit sa fleur l?accrocha à son espèce de bonnet et se mit à chantonner : «Ali, pour sûr que ce sultan Si puissant est devenu un enfant ! Il prend puis il rend. Il est si vilain et si ventripotent Qu?il en devient méchant !» Puis s?adressant au souverain il reprit : «Sultan, admire ton sujet, il a une fleur à son chapeau Et à son bec fleurit toujours une chanson ! Il est pauvre, mais libre comme le vent !» Le roi, profondément offensé, ordonna à son serviteur abasourdi : «Saisis-toi de ce merle persifleur. Coupe-lui la gorge sur l?heure ! Je le veux rôti pour mon repas de midi». Ali se dépêcha de regrimper sur le toit, attrapa le pauvre merle et, vite, vite le décapita. Mais l?oiseau continua quand même à chanter à tue-tête : «Que ce roi est gros et bête ! Il m?a fait mettre autour du cou un collier de fête ! Un collier si beau, plus rouge qu?un coquelicot ! Oh ! ce roi est aussi gros que sot !». Le serviteur, pour faire taire le volatile égorgé, se hâta de le plonger dans l?eau bouillante et, ses petites plumes, une à une, se pressa d?arracher. (à suivre...) (1) Makrouts : gâteaux fourrés de dattes écrasées (2) Baqlawa : gâteaux fourrés de noix et arrosés de miel.