Le 27 décembre 1988, en pleine période de fêtes, au petit matin, on découvre un drame affreux au séchoir géant de la laverie qui traite le linge du centre hospitalier d'O. C'est une scène digne d?un film d'horreur. A 6 heures, en ouvrant le hublot d'une des machines qui contiennent des centaines de kilos de linge lavé, essoré et séché, deux employés découvrent le corps affreusement mutilé d'un homme, vêtu simplement d'un slip, de chaussettes et d'une seule basket. Son pantalon, son pull-over, ensanglantés, et sa chaussure restante, sont non loin de lui, dans le linge. La victime appartient au service. Il s'agit de Yves T., 38 ans, récemment nommé contremaître à la laverie. La laverie interhospitalière d'O. traite quotidiennement douze tonnes de linge. Récemment, elle a été équipée de machines ultramodernes, dont le séchoir géant. Pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer, il faut savoir que le linge lavé et encore mouillé arrive au séchoir par l'intermédiaire d'un tapis roulant et tombe dans la machine par une trappe large d?un mètre cinquante et haute de soixante centimètres. Ensuite, la trappe se referme automatiquement et la machine se met en marche, dégageant une chaleur de cent quatre-vingts degrés. Passé le moment de stupeur, les enquêteurs ne savent plus que penser. Un accident semble impossible. Comment le corps d'Yves serait-il passé sur le tapis sans qu'on s'en aperçoive ? A-t-il été victime d'un malaise en se penchant au-dessus de la trappe ? Mais pourquoi l'aurait-il fait ? La machine marchait parfaitement, il n'avait rien à vérifier. Alors, un crime ? L'hypothèse semble tout aussi difficile à admettre. Quelle raison, quelle haine aurait pu pousser quelqu'un à infliger à cet homme une mort aussi atroce ? Et surtout, pourquoi choisir ce lieu fréquenté jour et nuit ? Il faut attendre le résultat de l'autopsie qui, seule, pourra trancher. Ce résultat parvient peu après et fait l'effet d'une bombe : c'est bien un crime ! La mort remonte aux alentours de 6 heures. Yves présente de nombreuses fractures, contusions et brûlures, mais il a au sommet du crâne une trace de coup qui ne peut pas avoir été fait par la machine. Il a été assommé par un objet lourd avant d'arriver dans le séchoir. Détail particulièrement horrible, ce n'est pas ce coup qui a provoqué la mort. Il était encore vivant quand il a été précipité dans la machine et c'est la chaleur qui l'a tué, ainsi que la rotation de l'énorme séchoir, tournant à trois mille tours à la minute ! Quant à l'arme qui a servi à frapper, elle est retrouvée peu après : c'est une bonde de lavabo, tube de métal de quarante centimètres de long et de trois centimètres et demi de diamètre. L'enquête démarre donc sur ces bases et, tout de suite, elle apporte une piste. Le climat était très mauvais à la laverie. Yves n'était pas aimé, il était même détesté par plusieurs. On lui reprochait son avancement trop rapide et il se montrait un contremaître particulièrement sévère. Il multipliait les remontrances et notait les fautes professionnelles de ses subordonnés sur un carnet. De plus, récemment, à la suite de pannes inexpliquées, il semblait sur la piste d'une affaire de sabotages, ainsi que de linge volé à la blanchisserie. Or, parmi tous les employés, l'un d'eux ne tarde pas à faire figure de suspect numéro un. Louis N. est le pupitreur de la machine. Depuis un poste élevé, il surveille l'ensemble du tapis roulant conduisant au sèche-linge. Comment aurait-il pu ne pas apercevoir le corps ? D'autre part, il contrôle le poids du linge. Or la victime pesait près de cent kilos et cela aurait dû apparaître sur ses instruments. Ce n'est pas tout ! Parmi le personnel, Louis semblait le plus monté contre Yves. Il a même proféré des menaces de mort contre lui. Des témoins l'ont entendu dire : «J'aurai ta peau !» Comme, de plus, on retrouve des taches de sang minuscules sur son polo, il est inculpé d'assassinat deux jours seulement après le meurtre, le 29 décembre 1988. L'intéressé nie pourtant farouchement et se défend comme un beau diable. Par deux fois, la chambre d'accusation décide sa mise en liberté contre l'avis du magistrat instructeur. Et c'est en prévenu libre qu'il comparaît à son procès, qui s'ouvre devant les assises, le lundi 16 mars 1992. (à suivre...)