Francisco est lycéen. Un peu grand pour un lycéen, avec ses un mètre quatre-vingts. Un peu âgé aussi, selon les normes, avec ses vingt et un ans. Pas très en avance sur le plan scolaire, mais très en avance sur le plan sentimental. Il a des pulsions amoureuses très fortes. Il est grand, sportif, exotique. Il plaît aux filles, surtout celles du centre de la France, où l'on n'a pas trop d'occasions de rencontrer des garçons comme on en voit à Rio. Clémence aime bien Francisco ; les parents de Clémence, sa mère, plus précisément, et son beau-père, n'ont pas de préjugés raciaux. Ils accueillent chaleureusement le camarade de Clémence, Francisco, puisque tel est le prénom romantique sous lequel tout le monde le connaît. Mais après quelques mois, Clémence fait comprendre à Francisco qu'elle a d'autres projets, qu'elle songe peut-être à quelqu'un d'autre, moins exigeant aussi, ou moins coléreux. Francisco, en effet, dont le père exerce la très honorable profession d'entraîneur de football, Francisco, qui vit loin de ce père, souvent en déplacement, est sans doute un peu trop livré à lui-même. Il a de l'argent de poche, de la liberté. Sans doute ne possède-t-il pas le mode d'emploi de ces deux éléments difficiles à manier. A vingt et un ans, il en est encore à l'âge des grandes passions, des grandes déceptions, des grands désespoirs. Il n'a personne à qui se confier en cas de doute. Il n'a, comme points de repère, que le texte des chansons à la mode, que le comportement des héros tels qu'on en voit dans les films. Trop de violence pour un être né violent. Trop de romantisme, trop d'images d'armes, de sang, pour un être fragile, mais musclé, qui ne sait comment sortir de son chagrin. Clémence a dit qu'elle en avait assez. Francisco ne comprend pas pourquoi, ne veut pas le comprendre. Personne ne se trouve là pour lui souffler : «Une de perdue, dix de retrouvées.» Sa peau trop colorée l'isole. Il se dit sans doute qu'il ne retrouvera pas de sitôt une autre Clémence. Il se dit qu'elle n'a pas pu décider tout cela toute seule, qu'on doit, en famille, lui reprocher sa couleur, que, au fond, tout le monde est hypocrite, que personne ne l'aime, à commencer par son père, qui l'a envoyé étudier au fin fond de la France. Alors, Francisco réfléchit à ce qu'il doit faire. Il choisit ce qu'il croit être la seule attitude digne de lui, la seule manière de réagir qui lui permette ensuite de se regarder en face dans son miroir? le mauvais chemin. Francisco commence par aller chez un coiffeur et il se fait faire une coiffure très stylée : une banane iroquoise. Exactement celle que Robert de Niro portait dans le film Taxi Driver. Avec l'argent dont il dispose, Francisco s'achète une arme. Pas n'importe quoi, pas de la pacotille : un fusil à pompe Winchester, qui entre tout juste dans le sac de sport où, d'habitude, il range ses raquettes de tennis. Pour les cartouches, il a des balles achetées depuis une semaine. Il les caresse longuement avant d'en remplir la cartouchière et d'en charger l'arme meurtrière. Pas encore meurtrière, il est vrai, mais il reste peu de temps à attendre. Le walkman de Francisco lui emplit les oreilles des battements assourdissants de ses airs préférés. Une sorte de drogue auditive. Il est prêt. Il prend le train. Arrivé à destination, il sait qu'il doit se rendre jusqu'à R., petit village où Clémence et sa famille ne se doutent pas qu'ils viennent de commettre un péché mortel : celui d'avoir rejeté Francisco. (à suivre...)