Un beau jeune homme, grand, taillé pour le basket-ball, que les filles regardent volontiers, bien élevé, bien habillé, avec un métier solide, âgé de vingt-quatre ans, brun, sourire gentil, regard attirant. C'est ce que l'on peut voir sur toutes les photos de famille, celles de l'école, celles du club de sport, celles des copains. Le contraire d'une tête d'assassin, le contraire d'un violent, le contraire d'un psychopathe, le contraire d'un fils indigne : une «normalité» rassurante. Il est pourtant debout devant ses juges, en mai 1993, en cour d'assises, et il s'en est fallu de très, très peu qu'il n'y soit jamais. Le crime parfait n'existant pas, dit-on, il s'y trouve. Pourquoi ? Réponses multiples. La première réponse peut paraître anecdotique, mais c'est la première : à cause d'un mocassin vert. La deuxième réponse est dramatique : parce qu'il a tué une jeune femme. Avec pour corollaire le fait qu'il l'a tuée deux fois. Deux fois. Ce n'est pas habituel de tuer la même personne deux fois, à deux heures d'intervalle. La troisième réponse est aléatoire et nous oblige à évoquer le hasard : cette femme qu'il a tuée deux fois aurait pu être n'importe quelle autre femme. La quatrième réponse est sexuelle : parce que la victime du hasard était une femme. La cinquième réponse est peut-être médicale : parce qu'il souffrait d'un problème physiologique, lié à une forme d'impuissance sexuelle. La sixième réponse est psychologique : parce qu'il a souffert d'un manque d'affection dans son enfance. La septième réponse est le déclencheur des précédentes : sous l'impulsion de la colère. François, au mois d'août 1989, a vingt-deux ans. Il travaille dans un service hospitalier de province, en radiologie. Il a pratiqué le basket, après avoir suivi ses études dans une école spécialisée «sport et études», donc en pension, loin de ses parents. Bon niveau sportif, bonnes performances dans un club local, le voilà adulte, célibataire, avec son studio, sa voiture, son salaire, ses copains, et les filles. Une fille en particulier, dont il est amoureux, mais qui n'est pas décidée à faire sa vie avec lui, puisque en ce mois d'août 1989 justement, elle reprend une liaison avec quelqu'un d'autre – liaison qui dure depuis cinq ans déjà – et signifie donc à François la rupture définitive entre eux. L'ennui, dans cette annonce de rupture, est que rien ne semble définitif pour l'amoureux éconduit. Il n'y croit pas vraiment : elle l'a déjà quitté, elle est revenue. Pourquoi pas cette fois encore ? Il refuse d'admettre qu'il n'était dans la vie de cette jeune femme qu'un passager, que c'était lui l'amoureux obstiné et non elle. Que l'aventure était une parenthèse. Et surtout, très certainement, que cette rupture est liée à son problème sexuel. Ce problème est à la fois simple et dramatique : depuis l'enfance, François souffre d'une malformation, opérable en principe, mais dont il n'a pas su ou voulu parler plus tôt et dont les parents, apparemment, ne se sont pas préoccupés suffisamment dès son plus jeune âge. Un phimosis. Lorsque les premières difficultés sexuelles, dues à ce problème mécanique, se révèlent, il est déjà tard pour ce garçon, qui a pris l'habitude de pratiquer davantage le sentiment amoureux que l'acte lui-même. Il décide tout de même de se faire opérer, acte ch+irurgical qui consiste en une sorte de circoncision tardive. Mais l'impuissance demeure, elle semble installée psychologiquement. Un beau garçon en pleine force de l'âge, qui ne peut se conduire avec les filles comme ses petits copains, c'est dur à vivre. Et cela n'empêche pas d'être amoureux ; au contraire, l'affectivité n'en est que plus importante, par compensation. (à suivre...)