Image La nuit commence à tomber sur la gare de l?Agha. «Le train de Thénia arrive dans un instant», annonce une voix dans un haut-parleur. Les voyageurs, une cinquantaine environ, attendent anxieusement le dernier train, qui les ramènera chez eux. Ce sont des habitués. Ils se connaissent, mais ne se parlent pas. Parmi eux, des fous, des voleurs, des travailleurs, des artistes, des jeunes dés?uvrés sont là pour passer le temps. La longue attente est différemment vécue. Si, pour quelques-uns, c'est un moment de solitude, de réflexion, pour d'autres c'est un moment de grande anxiété. Enfin, le train arrive. La locomotive pénètre dans une gare triste, sous le regard ravi des voyageurs. Sur les six voitures que compte le train, cinq ne sont pas éclairés. Les voyageurs les plus chanceux trouvent un siège «vacant», les autres restent debout, s'accrochant comme ils peuvent. Têtes baissées, visages fatigués, moral rudement atteint par les fréquents retards au bout de journées harassantes, les voyageurs livrent leur sort, le temps d'une escale, à la machine vrombissante. Le train déchire les ténèbres de la nuit. Au bout d'une longue minute, les langues se délient. La réserve observée à la gare cède la place à la familiarité. Le silence est rompu par les brouhahas indéfinissables. Comme pour se rattraper d'un retard, tout le monde parle à la fois. De petits groupes se forment, comme dans un quartier. Les gens parlent à haute voix. Des critiques jaillissent de partout. Tout y passe : «Les cheminots, ces sales voleurs», «l'Etat mafieux», «les islamistes, ils bluffent», «l'équipe nationale, est nulle». Tous les voyageurs ont la même vision des choses : tout est négatif. L?objectif commun : se défouler et tuer le temps, pour ne pas sombrer dans la mélancolie. Celle-ci n'est pas la seule menace. Les agressions physiques, le vol sont une pratique courante dans ces territoires de l'incertitude. Lorsque les voleurs montent dans le train, ils commencent par une bonne prospection. Comme des requins, ils nagent lentement, tranquillement dans cet aquarium métallique. Au bout, de la prospection, la proie est localisée : un jeune qui parle au téléphone. C'est l'erreur fatale. Les requins sont à deux. Comme de coutume, ils attaqueront rapidement. Le terrain leur est favorable : le bruit des bogies, qui déroute la vigilance, le brouhaha des gens. Soudain les deux requins frappent. L?un met le couteau sous la gorge du jeune et l'autre lui arrache le portable. La scène dure quelques secondes, juste avant d?entrer à la gare d'El-Harrach, où les voleurs se volatilisent. Le jeune homme n?a même pas eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait.