InfoSoir : Comment a été faite cette étude ou plutôt cette recherche ? M. Mebtoul : Nous avons fait un travail très approfondi dans le but de restituer les paroles des jeunes qu?on n?écoute pas trop. C?est une expérience fabuleuse avec l?équipe qu?on a mise en place. Il fallait toucher toutes les catégories de jeunes qui représentent une population très hétérogène. Que pouvez-vous dire de ces catégories ? On est allé dans des quartiers extrêmement différents pour essayer d?investir le terrain. Les entretiens approfondis nous ont amenés à montrer les particularités pour chaque catégorie de jeunes. Les jeunes Algériens vivent dans une situation de malaise profond. Et les étudiants alors ? Pour les étudiants, il s?agit de la dépréciation de leur savoir, leur seul souci, c?est l?acquisition de leur diplôme identifié à un papier équivalant à un acte de naissance. La plupart rêvent aujourd?hui de faire «de vraies études», ce qui veut dire des études ailleurs. Ils dévalorisent l?université algérienne qui ne représente pas un espace attractif où ils peuvent bouquiner, travailler, mais un espace de production d?un papier (le diplôme). Nos politiques doivent réfléchir à la qualité des études universitaires. Les chômeurs sont une catégorie étudiée, les concernant quels ont été les résultats ? Chez les jeunes chômeurs et ceux qui ont un emploi précaire, il y a un terme qui revient souvent : «naviguer» qui veut dire qu?ils se débrouillent comme ils peuvent pour survivre. Ils ont un sentiment de relégation sociale et scolaire extrêmement fort. «C?est le temps qui me gère, je ne gère pas le temps», le coin de rue et le café représentent leur espace privilégié. Ils n?ont pas choisi ces espaces, ils font des replis sociaux, les gens se trompent. Dans votre intervention, vous vous êtes dit contre l?expression «déviant» ? Les jeunes dits «déviants» habitent dans des quartiers stigmatisés marqués par la pauvreté, un habitat précaire, des familles vivant dans des grottes comme dans le quartier les Planteurs à Oran et Bab El-Hamra. Ces jeunes ont un discours très radical, franc, brut sur leurs rapports avec les institutions politiques, économiques et sociales. Ils savent ce qui se passe, ils mettent l?accent sur les inégalités sociales, ils disent eux et nous, nous on est rien, donc c?est l?autodestruction, ils vont multiplier la toxicomanie. «Madame Courage», c?est ce fameux cachet qui leur donne la puissance et le sentiment qu?ils peuvent agresser, fumer des paquets de cigarettes aussi. Peuvent-ils constituer un danger ? Ces jeunes ne sont pas du tout dangereux, mais ils s?autodétruisent, la violence n?est pas du côté des jeunes, mais c?est la contre-violence, c?est la violence institutionnelle qui amène ces jeunes dans ce système de fermeture sociale et économique. Et pour ce qui est des filles? Chez les filles, il ressort une forme d?intériorisation de leur domination, leur projet fondamental, outre le diplôme, c?est le mariage. Elles cherchent à construire et à reproduire la logique familiale, avoir une maison, être propriétaires d?une maison «moulette eddar». Elle joue même un rôle important dans la stabilité de la famille? Le statut de mère pour la femme, selon notre étude, joue un rôle fabuleux. Elle est la médiatrice entre le jeune et le père. Pour plus de détails sur la santé de la famille, il suffit de consulter le site Internet du Gras : www.gras.tk.com. (*) Sociologue et directeur du Groupe de recherche en anthropologie de la santé d?Oran.