Résumé de la 2e partie En Corse, les attentats sont toujours compliqués à élucider, les enquêtes interminables et le public a souvent l'impression que rien ne sort de rien, comme si la «guerre» corse était une fatalité. En vingt jours d'enquête, les gendarmes isolent trois des habitants sur les mille cinq cents que compte le village. Tous les trois sont homosexuels. Dans ce groupe, deux Corses et un «continental». C'est de ce dernier que vient l'aveu. Restons prudents, l'instruction est en cours, un seul homme a avoué et dénoncé les deux autres. L'arme du crime n'a pas été retrouvée, que l'on sache, en tout cas les enquêteurs n?en font pas mention. Un aveu n'est pas une preuve. Un aveu peut se rétracter. C'est aux enquêteurs de vérifier les faits et de prouver la culpabilité. Ce qu'avoue le «continental» est à la fois monstrueux et décourageant. Monstrueux car il s'agit d'un pari. Décourageant car il n'a d'autre mobile que la bêtise. Les trois protagonistes, les voici. Luis, vingt-huit ans, Corse, né au village. Une tête carrée, un menton lourd, des cheveux sur la nuque. Le cou est épais, la bouche lippue et sinueuse. Homosexuel. Matthieu, vingt-neuf ans, Corse, gérant d'une pizzeria au village. Tignasse bouclée, regard de fille, lèvres boudeuses. Homosexuel. Jean, vingt-six ans, pizzaïolo saisonnier, venu du continent. Cheveux fins et plats, nez aiguisé, narines retroussées, une tête d'oiseau aux aguets, des lèvres courtes. Homosexuel. L'histoire, la voici, selon Jean, que la garde à vue a fini par faire craquer, alors que les deux autres nient en bloc. Le 20 septembre, le restaurant où travaille Jean ferme dans la soirée. Jean rentre chez lui. Ses deux amis, Luis et Matthieu, sont dans une boîte de nuit d'un village voisin. Luis est l'amant de Jean depuis le début de l'été. Ce que fait Matthieu au milieu de ce couple saisonnier, on l'ignore. En tout cas, c'est avec lui que Luis va faire la fête. Plus tard, ils rejoignent Jean chez lui et, l'alcool les ayant mis en forme, c'est l'orgie. Orgie au cours de laquelle Jean dit aux enquêteurs qu'il a servi de souffre-douleur, subi des sévices, des relations sexuelles sadiques, des humiliations diverses, et qu'il était complètement vidé, abattu, démoralisé, au lever du soleil. A 5h 30 du matin, ils sont donc tous les trois, toujours selon Jean, et déambulent dans les rues. Luis menace son partenaire humilié de rompre et de le quitter, sauf? s?il a le culot d?accomplir quelque chose qui l?épate. Par exemple, d?attaquer le fourgon de gendarmerie qui stationne là, devant la mairie. On pourrait traduire cela par une phrase de gosse : «T'es "cap" ou t?es pas "cap" de viser le prof avec ta tire-boulette ?» Si t'es «cap», tu remontes dans mon estime et dans mon lit. Si t?es pas «cap», adieu... Alors, Jean se déclare «cap». Pour ne pas avoir l'air d'une lopette, dit-il. Jean raconte encore que c'est Luis qui est allé chercher le fusil de chasse dans sa voiture. Qui y a mis les cartouches ? On ne sait pas. Il ne s'agissait, d'après lui, que de «faire un carton» pour prouver qu'il était un homme. Jean fait donc un carton. Comme à la foire, il tire en plein dans la vitre arrière du fourgon, côté conducteur. Ensuite, il file par la route départementale jusque chez lui et les autres s'éparpillent dans le village. La version de Luis et Matthieu est beaucoup plus simplette et les fait passer pour deux noctambules inoffensifs. Ils étaient, tous les deux, dans cette boîte de nuit, ont fait la fermeture, à 6 heures, et ont acheté des croissants à 6h 30 du matin à la boulangerie de leur village. Des témoins, présents à la boîte de nuit, confirment, pour l'instant, leurs dires. Le boulanger affirme aussi leur avoir vendu des croissants à 6h 30. Deux heures après le drame, entre 7h 30 et 8 heures du matin, Matthieu a été interpellé par un gendarme pour vérification d'identité. Il a pris peur et a voulu fuir. La «bavure» a été évitée de justesse : dans sa course, Matthieu est tombé par terre, au moment, dit un témoin, où les gendarmes allaient tirer sur lui. Une perquisition à son domicile a permis de retrouver une arme, mais ce n'est pas celle qui a servi au tireur. Crime stupide, navrant, qui n'a rien à voir avec l'ambiance particulière qui règne dans ce village corse. Les habitants sont fatigués des vols de moto, des incendies, des larcins et des bandes de petits voyous qui écument les boîtes de nuit de la région. Luis, le meneur, semble en faire partie puisqu'il devait déjà répondre devant un tribunal, à la rentrée, de délit d'incendie volontaire. Pour les voyous, les autonomistes ont bon dos. En apprenant les conclusions de l'enquête, le village est soulagé : les conflits entre Corses ne sont pas en cause. Il ne s'agit pas d'une vengeance entre familles, d'un règlement de compte entre autonomistes et spéculateurs en immobilier. De la guerre coutumière entre gendarmes et maquis. Il s'agit d'une horrible et sombre histoire de débauche, de pari stupide, entre trois hommes ivres d'alcool et de bêtise. Ce qui ne rassure en rien. Qu'un jeune homme de vingt-huit ans tire sur un autre de vingt-six pour faire «un carton sur un képi», sans autre mobile que la bêtise et une homosexualité mal vécue, c'est odieux et décourageant.